Et toujours les Forêts - Sandrine Collette
Après de nombreux succès du côté du polar (bien noir) et une réputation désormais bien établie, Sandrine Collette se lance (à son tour car le thème me semble inspirer pas mal de monde en ce moment) dans les pas de Cormac McCarthy et de son célèbre roman La route pour donner sa vision d'un monde post apocalyptique. Elle chemine également du côté de Station Eleven plus récemment écrit par Emily St John Mandel qui interroge avec brio ce qu'il reste d’une civilisation après qu'elle s'est éteinte. Pour ce faire, elle met en scène un héros pas tout à fait comme les autres, spécimen issu d’une société arrivée au bout d’elle-même mais posé en marge de celle-ci par une mère qui l’abandonne sans cesse et finit par le laisser définitivement, comme un paquet de linge sale que l’on jette sur le palier. Corentin trouve auprès d’Augustine, sa grand-mère, ce qui peut le mieux ressembler à de l’affection et grandit dans les Forêts, au milieu de la nature avant d’être happé par la ville, les études, la civilisation. Jusqu’à ce que tout s’écroule.
Qu’est-ce que survivre lorsque plus rien n’existe ? A quel espoir se raccrocher ? Miraculeusement rescapé de la catastrophe qui a détruit toute forme de vie sur Terre, Corentin se met en marche vers les Forêts pour tenter de rejoindre Augustine, attentif à la moindre parcelle de vivant qui aurait pu échapper comme lui à l’extinction. On s’accroche à ses pas, à ses pensées avec l’envie et l’espoir, comme lui, de voir quelque chose renaitre. Les jappements d’un chiot, les pas d’un autre vivant… au milieu du silence. Les descriptions de Sandrine Collette sont assez terrifiantes, tout comme le constat qu’elle propose sur la nature humaine : d’abord sourd et aveugle aux signes et aux mises en gardes, l’homme a laissé la catastrophe arriver ; maintenant qu’il n’y a plus rien, les rares survivants ne peuvent même pas compter sur la coopération. Les hommes continuent à s’entretuer, pour rien. Au milieu, Corentin, guidé par un instinct, un vague espoir, on ne sait pas trop, peut-être nourri et renforcé par ses années de solitude, Corentin avance, construit, sème…
Tout ceci est bien noir, mais comment en vouloir à l’auteure de son pessimisme si naturel face à ce que l’on peut observer dans la réalité. La narration qu'elle déploie est d'une efficacité décuplée par la sécheresse et la précision de ses phrases. Pas de gras, on est à l'os. Histoire de coller au dépouillement auquel fait face Corentin. C'est d'ailleurs ce personnage, extrêmement fort, singulier et attachant qui emporte le morceau. Ainsi que l’alerte lancée à la face des habitants du monde encore debout, nous (on croit que ça n’arrivera pas mais toutes les conditions sont réunies pour que.). Néanmoins, compte tenu des références évoquées plus haut, rien de bien nouveau dans l’appréhension de la fin du monde ni de son après. Moins glauque que La route, mais moins profond que Station Eleven, Et toujours les Forêts reste un roman percutant et qui interpelle. Et comme il est utile de répéter, puisque les alertes se succèdent sans que rien ne bouge, pourquoi ne pas espérer encore un peu ?
"Mais ça ne se voyait pas que la nature crevait, dans la ville. Ça ne faisait rien au macadam, rien aux réverbères. Ça ne changeait pas le chant des étudiants, ça ne changeait pas le bruit des klaxons. Ça n'atténuait pas les rires ni les cris, le grincement des portes qui s'ouvraient et celles qui se fermaient, pas le ronronnement du métro, pas les sonneries des portables.
Ça ne modifiait pas la couleur du ciel - parce que personne ne le regardait. Il y avait trop de lumière devant. Des lueurs artificielles.
Qu'on éteigne, suppliait parfois Corentin en silence.
Le monde comme une ampoule.
Le monde comme une fête, et il était bientôt minuit."
"Et toujours les Forêts" - Sandrine Collette - JC Lattès - 334 pages
(lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de ELLE 2020)