Pacifique - Stéphanie Hochet
Stéphanie Hochet m'avait captivée en 2015 avec Un roman anglais, si anglais qu'on aurait pu le croire écrit par l'un des sujets de la Reine Elizabeth II. J'avais admiré son habileté à capter l'essence d'une époque, d'un milieu et à explorer l’ambiguïté des sentiments à travers un personnage aussi fort que complexe. J'avoue que je suis assez épatée de la façon dont elle change radicalement de style et d'univers pour se glisser ici dans la peau d'un kamikaze de la guerre du Pacifique. Autre culture, autres mœurs, autres références littéraires. Reste la finesse du trait, l'acuité du regard, la précision du mot.
Avril 1945. Le soldat Kaneda sait depuis longtemps ce qui l'attend, toute sa formation s'est effectuée à l'aune de cet objectif. Mais depuis quelques minutes il sait aussi que l'échéance se rapproche : ce sera dans deux jours. Ces dernières semaines, les "attaques spéciales" se multiplient dans le Pacifique pour tenter de freiner l'avancée américaine. Kaneda est prêt. Dans deux jours il décollera avec son escadrille et ira fracasser son Zéro contre le porte-avion américain qu'on lui aura assigné comme cible. Il a été élevé dans un certain code de l'honneur au service de l'Empire et de son représentant divin, celui des samouraïs. Mourir, se sacrifier le sourire aux lèvres, le summum de l'honneur. Sa vie n'a pas d'importance face à la grandeur du destin de l'Empire. Pourtant, un petit grain de sable vient titiller ses certitudes alors que des rumeurs interrogent de plus en plus durement les chances de victoire du Japon et de ses alliés. Sa vie n'aurait-elle vraiment aucune autre importance que celle du sacrifice ? Et si ce sacrifice ne servait finalement à rien ?
Il suffit de deux pages pour se laisser embarquer dans le dilemme de Kaneda, revisiter son enfance et son adolescence et ressentir tout le poids d'une culture. Mais pas seulement. Car ce n'est pas rien que de s'interroger sur le sens d'une vie, de tenter de dépasser des années de conditionnement. Et le plus remarquable dans tout ça, c'est que Stéphanie Hochet parvient à nous faire ressentir les émotions de Takeda par-delà les barrières culturelles, par la grâce d'un animal de compagnie, la silhouette d'une jeune fille ou l'énumération de ces choses que le jeune homme est conscient de ne jamais connaître. La Japon est là mais le propos est universel.
Si le roman réserve son lot de surprises, il pose aussi les bases d'une réflexion sur ce qui fait une civilisation, grâce à une deuxième moitié aussi inattendue que passionnante et qui m'a beaucoup fait penser, dans son esprit, au propos de Pascal Manoukian dans son dernier roman, Le Cercle des Hommes. Peut-être qu'un organisateur de manifestation littéraire aura la bonne idée de réunir ces deux auteurs ? Pour l'heure, je veux surtout saluer la qualité littéraire du roman de Stéphanie Hochet ; un style impeccable, épuré, certainement très travaillé pour atteindre ce degré de fluidité et de précision. Jusqu'au choix du titre. Preuve que l'on peut trouver dans 140 pages de vraie littérature un peu de l'essence du monde.
"Pacifique" - Stéphanie Hochet - Rivages - 142 pages