Grand Prix des Lectrices de ELLE 2020, l'heure du bilan - Episode 2 : côté documents
L'un des grands intérêts de ce prix de lectrices réside dans les trois catégories qui le composent. Lors de ma première participation en 2015, j'avais déjà beaucoup apprécié de m'ouvrir à des documents et récits vers lesquels je n'allais pas spontanément. D'ailleurs, depuis j'en lis un peu plus même si je dois admettre que la fiction provoque chez moi beaucoup plus de sensations que les essais, aussi convaincants soient-ils. J'ai particulièrement goûté la sélection de cette édition, variée autant dans les sujets que dans les styles, qui nous a fait passer des moments douloureux et d'autres beaucoup plus légers et drôles. Allez, on voit ça en détail...
De gauche à droite dans l'ordre d'arrivée et, cette fois, mon choix personnel était en phase avec celui des autres membres de mon jury de septembre puisque le passionnant livre d'Ivan Jablonka, Des hommes justes (Seuil) a été choisi. Une somme d'information, un pavé qui en fait se lit très facilement et que je suis contente d'avoir dans ma bibliothèque car j'ai l'impression que je pourrais y revenir au gré de mes lectures. Cet ouvrage a le grand mérite d’explorer tous les territoires qui, au fil des siècles ont contribué à conforter le fonctionnement de nos sociétés sur le mode patriarcal. Plongée dans l’histoire, prise en compte des différentes civilisations, poids des religions… c’est passionnant, hyper documenté et cela offre une matière consistante pour nourrir la réflexion. On en apprend beaucoup sur les différentes étapes des combats féministes, les fissures qu’ils ont créé dans le règne masculin, les excès ou failles qui en découlent et surtout, on comprend les enjeux de ceux qu’il reste à mener et dans lesquels les hommes auront leur part. Doivent prendre leur part. C’est d’ailleurs le message que l'on retient en refermant ce livre, cette invitation aux hommes à s’investir dans la conquête définitive de l’équilibre et l’émergence d’une forme apaisée de cohabitation entre les sexes.
Débarrassons-nous à présent de celui que j'ai le moins apprécié : Jouir, en quête du plaisir féminin (Sarah Barmak / Zones). Sur le papier, il avait pourtant tout pour plaire mais je dois avouer que je me suis terriblement ennuyée. Je l'ai trouvé bavard et surtout sans surprise par rapport à ce que l'on peut lire sur le sujet dans la presse féminine qui se fait régulièrement l'écho des dernières études ou théories en la matière.
Le plus difficile à lire a été sans conteste 19 femmes (Samar Yazbek / Stock). 19 témoignages de femmes syriennes qui nous font toucher du doigt leur double peine, persécutées par les régimes en tant qu'opposantes et en tant que femmes, des paroles sans fard, courageuses et douloureuses que l'auteure a choisi de restituer sans les réécrire. On ne peut éviter la sensation de répétition au bout de 6 ou 7 témoignages et personnellement je m'en suis voulu de cette réaction. Mais il me semble que cette forme n'est pas la meilleure façon de sensibiliser un large public, je pense par exemple au film documentaire Pour Sama dont l'effet est d'une force sans nom.
Heureusement, juste après est arrivé Le roman des Goscinny (Catel / Grasset), roman graphique très agréable à lire. J'ai eu grand intérêt et plaisir à découvrir la vie de René Goscinny dont j'ignorais à peu près tout à part son nom sur la couverture des quelques albums d'Asterix qui sont passés entre mes mains. Les reproductions d'archives agrémentent le récit, j'ai moins aimé les interludes qui mettent en scène les discussions entre Catel et Anne Goscinny mais globalement, un moment original et sympathique.
Je passe rapidement sur Le courage des autres (Hugo Boris / Grasset) dans lequel l'auteur évoque ses et nos petites lâchetés du quotidien sur lesquelles il convient de se pencher avant de tout de suite se demander ce que nous aurions fait pendant la guerre. Agréable, distrayant mais pas vraiment marquant.
Un très chouette moment passé avec Honoré et moi (Titou Lecoq / L'Iconoclaste). L'auteure réussit l'exploit de donner envie de relire La comédie humaine, pourtant synonyme de lecture imposée il y a bien longtemps, tout en offrant une vision résolument moderne de l'écrivain. Car sous couvert d’une fausse légèreté, d’une dose d’humour et d’impertinence, elle livre une très fine analyse comparative de notre époque et de celle de Balzac. C'est drôle, tendrement ironique, bien enlevé, pétillant. Bref, je recommande chaudement.
Et enfin, mes deux préférés, que je me refuse à départager...
D'abord, le brillant essai de Jonathan Safran Foer, L'avenir de la planète commence dans notre assiette (L'Olivier). Pour moi, c'est une puissante démonstration autour de la nature humaine et malheureusement, ce titre n'est pas du tout adapté au contenu ce qui a suscité de nombreux rejets et incompréhensions chez mes camarades alors je ne m'attends pas à ce qu'il soit couronné. Mais il reste celui qui m'a le plus bousculée et réjouie dans cette sélection. Lire ma chronique.
Ensuite, le livre qui a fait parler de lui avant même d'être disponible en librairie, témoignage puissant et salutaire : Le Consentement de Vanessa Springora (Grasset). Construction limpide, démonstration implacable, j'ai vraiment été frappée par la détermination de l'auteure à battre son adversaire sur son propre terrain, celui de la littérature. Pour moi, c'est un livre qui compte et j'étais d'autant plus contente d'avoir lu avant l'essai de Jablonka qui permet de cerner tout le chemin qu'il reste encore aux femmes à accomplir. D'où le besoin de ces voix et de cette détermination. J'en fais mon favori pour le prix. Lire ma chronique.
Je pense que vous avez perçu mon enthousiasme pour cette catégorie. Pour celles et ceux qui auraient manqué l'épisode précédent, les polars, c'est par ici. Et rendez-vous prochainement pour la dernière catégorie, celle des romans.
NB : le formulaire de candidature pour l'édition 2021 est paru dans le magazine ELLE du 24 avril ou également téléchargeable ici, au cas où ça vous tenterait.