Grand Prix des Lectrices de ELLE 2020, l'heure du bilan - Episode 3 : côté romans
Troisième et dernier volet de ce bilan avec la catégorie "reine", celle des romans. Nous avons été plutôt gâtées avec des univers et styles très différents, des auteurs aguerris, des décors dépaysants, des personnages souvent marquants. Ce qui n'a pas empêché quelques déceptions de mon côté, sur lesquelles je vais revenir. C'est aussi la catégorie dans laquelle j'ai un vrai, un énorme coup de cœur, arrivé très tôt dans l'aventure, et qui pour moi est bien au-delà de tout ce que j'ai pu lire ces derniers mois. Cette sélection était d'un très bon niveau, à mon sens bien meilleure que celle qui nous a été proposée lors de ma précédente participation à ce prix en 2015. Voyons ceci en détail...
De bas en haut dans leur ordre d'arrivée. Un mariage américain de Tayari Jones fut mon choix dans le jury de septembre, très nettement face à deux romans pourtant prometteurs : Les Altruistes (grosse déception, n'est pas Woody Allen qui veut) et Mon année de repos et de détente (j'ai détesté, eu l'impression de perdre mon temps). Il s'agit d'un premier roman américain, tout en psychologie, qui interroge le couple sous le prisme d'un drame qui touche deux jeunes mariés, noirs, sur fond de racisme, d'injustice et de lâcheté. Intéressant bien qu'un peu lent.
Ma lecture la plus compliquée fut celle de Rien n'est noir de Claire Berest. J'avais déjà tenté une lecture lors de sa parution et ce nouvel essai ne s'est pas révélé plus fructueux. J'ai trouvé l'ensemble sur-écrit, sur-joué, un peu trop "exercice de style" même si la passion de l'auteure pour son sujet ne fait aucun doute. J'ai du mal à comprendre l'engouement autour de ce roman, surtout en ayant déjà beaucoup lu sur les deux figures de Frida Kahlo et Diego Riveira. Echec total pour moi.
Autre déception : Girl d'Edna O'Brien. Le thème est puissant, dérangeant mais le style m'a beaucoup gênée et empêchée de me mettre complètement dans les pas de cette héroïne, jeune fille enlevée par Boko Haram. L'émotion n'a pas été au rendez-vous, ce qui est dommage et je pense que c'est dû au fait que l'auteure reste trop près de la réalité et ne transforme pas assez la riche matière recueillie.
Je me réjouissais de découvrir enfin la plume d'Elif Shafak grâce à ce titre étrange, 10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange, ce fut un rendez-vous à demi réussi. La première partie est sublime et m'a embarquée immédiatement. Elle possède la grâce des contes orientaux et l'idée de départ est ingénieuse. Je suis tombée sous le charme de Téquila Leïla et je pensais me diriger vers un coup de cœur. Las, tout s'est gâté dans la deuxième partie, on retombe sur terre, et j'ai regretté que l'auteure n'ait pas exploité tout ce qu'elle avait mis en place auparavant. Un goût d'inachevé, donc. Mais j'essayerai de lire autre chose de sa part.
Venons-en à présent à celui qui fait lever les foules, est finaliste de pas mal de prix et me semble être le grand favori de cette édition : Et toujours les forêts de Sandrine Collette. Est-ce un bon roman ? Oui, sans aucun doute. Le personnage de Corentin est marquant et original, le décor et l'atmosphère sont prenants, l'ambiance est palpable et ça se lit d'une traite. Est-ce un roman exceptionnel ? Certainement pas. Les références en matière de romans post-apocalyptiques sont nombreuses ; c'est moins glauque que La Route mais bien moins profond que Station Eleven. Pour moi ce fut donc une lecture percutante mais loin du coup de cœur. Lire ma chronique.
On en arrive à mon tiercé de tête...
Sur la troisième marche je dépose La soustraction des possibles de Joseph Incardona. Percutant, trépidant, une sorte de grand roman de la finance ou tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les comptes planqués en Suisse sans jamais oser le demander. De l'amour, de l'aventure, et un poil de cynisme. On ne s'ennuie pas même si le style peut lasser (d'où sa 3ème place). Lire ma chronique.
En deuxième position, le sublime roman de Paolo Giordano : Dévorer le ciel. Un roman sur l'amour, sur l'amitié, sur la fidélité à ses idéaux avec en toile de fond la question de l'engagement politique et écologique. La construction est magistrale et traduit toute l'ambition du romancier qui joue avec les passions, le poids des idéaux et celui des désillusions. Avec un message beau à pleurer. Lire ma chronique.
Et mon grand vainqueur est : Le Ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena. Un livre que j'ai pris directement dans le ventre, une histoire de silence qui en dit tellement plus que des flots de paroles. Ce livre m'a bouleversée par l'angle inédit qu'il trouve pour parler d'un sujet pourtant maintes fois décortiqué ; bouleversée au point de m'imposer un moment de sevrage littéraire, le temps de digérer. C'est à mon sens un livre essentiel. Lire ma chronique.
Et voilà, c'est fini...
Malgré les circonstances exceptionnelles, le palmarès devrait être annoncé mi-juin mais il n'y aura vraisemblablement pas de grande réception, pas de rencontres avec les lauréats ni avec les jurées de cette édition. C'est un peu triste de terminer comme cela mais c'est le lot de nombreuses manifestations depuis mars et sans doute pendant encore un moment. Reste les livres, les émotions, les coups au cœur et au ventre, le plaisir des paquets arrivant chaque mois. Une chouette aventure.
Lire également les précédents épisodes : le bilan polars et le bilan documents.