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Les coeurs imparfaits - Gaëlle Pingault

18 Mai 2020 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Chère Gaëlle,

Je viens de terminer Les cœurs imparfaits, pour la deuxième fois. Avec toutes ces péripéties, les librairies fermées, je n'avais pas envie d'en parler avant d'être sûre que chacun pourrait le trouver immédiatement si mes mots lui donnaient envie de rencontrer tes personnages. Ce n'est pas plus mal d'ailleurs. Je relis rarement, tu sais. Et je t'avais lue avec attention la première fois, bien sûr, je n'avais pas besoin de me remettre ton livre en mémoire. Pourtant, cette deuxième fois a été meilleure. Moi qui pensais à une relecture rapide, je me suis retrouvée immergée, avec la sensation que même si je connaissais l'histoire et ses acteurs, je n'avais pas très envie de les quitter. D'ailleurs, je me dis que j'aimerais avoir, dans quelque temps, des nouvelles de Barbara, de Lise et même de Charles et de ses vélléités d'apprendre à tricoter.

Tu as le chic pour mettre sur mon chemin des personnages qui me parlent, toujours au bon moment. Et je ne dois pas être la seule dans ce cas parce qu'ils ont de la consistance ces êtres nés de ta plume, ils sont à la fois ancrés dans le quotidien, bousculés dans leur chair et ouverts à l'inconnu. Ton Aliénor* m'a tellement accompagnée, tu le sais, sur une route étroite, sombre. Elle fut comme une petite étincelle qui annonçait la lumière, un peu plus loin. Tes personnages sont profondément humains et reflètent l'importance que tu attaches aux liens. Aux rencontres. L'un de tes recueils de nouvelles a pour titre Ce qui nous lie, ce n'est pas un hasard. Les cœurs imparfaits est construit autour de ces liens et ça fait du bien.

J'aurais aimé rencontrer une Lise, à une époque. Son doux sourire, son écoute, son attention aux autres et plus particulièrement aux résidents dont elle s'occupe à l'Ehpad des Genêts. Malgré les difficultés, les logiques financières qui l'obligent à rogner sur son temps. Je ne te cache pas que c'est mon personnage préféré et que j'espère qu'à son tour, elle sera cajolée, rassurée, entourée (tu vois, il faudra me donner des nouvelles). Tu as une façon subtile de cerner la manière dont les êtres s'enferment dans une solitude qu'ils s'imposent, sorte de fuite, de refus d'affronter l'extérieur trop souvent source de douleur. Aucun de tes personnages n'y échappe, malgré les carapaces qu'ils exhibent et l'air de fausse assurance qu'ils affichent. C'est assez gonflé de ta part de faire de cet Ehpad le lieu central, ce n'est pas très marketing tout ça, je te reconnais bien là. Tu étais loin d'imaginer au moment où tu as bouclé ce roman à quel point ces lieux seraient sous le feu des projecteurs par la faute d'un virus encore inconnu il y a quelques mois. Du coup, ta toile de fond, la réalité des conditions de travail et de vie dans ces établissements devient fort à-propos, d'autant que tu te gardes bien de grossir le trait. Je parle de toile de fond car ce n'est pas le nœud de l'intrigue, juste le terrain d'action. Oui, c'est un lieu de vie. On peut y faire des rencontres, des vraies, de celles qui vous font changer, évoluer. Et elles ne vont pas manquer.

Chère Gaëlle, j'aime le regard que tu portes sur les autres et qui irrigue tes personnages. Ce que tu vas chercher au plus profond des entrailles de Barbara dont l'armure est forgée par des décennies de maîtrise à tout prix et de refus de prêter le flanc à la douleur, on peut tous le reconnaitre, de façon plus ou moins marquée. C'est bon de comprendre qu'une fois la carapace percée, autre chose peut s'engouffrer et élargir le champ des possibles. J'aime que ton regard ne perde jamais le fil de l'humour et qu'il t'aide à parsemer ton roman de scènes cocasses qui viennent contrebalancer le passif parfois chargé de certains acteurs (la relation de Barbara et de Rose, bon, c'est du costaud dans la catégorie désamour maternel). Et puis j'aime particulièrement cette scène, au restaurant, entre Charles et Barbara, quand elle goûte ces petits amuse-bouche au vieux comté... Tu as raison, l'émotion arrive souvent là où on ne l'attend pas. Et submerge tout.

Chère Gaëlle, nous sommes tous des cœurs imparfaits, nous faisons de notre mieux, en tout cas nous essayons. C'est bon de rencontrer les tiens, on se sent moins seul, peut-être un peu moins rigide avec comme une envie d'entrouvrir les portes. Et surtout d'aller dégotter un bon cheese cake, toutes affaires cessantes.

"Les cœurs imparfaits" - Gaëlle Pingault - Eyrolles - 324 pages

P.S. Figure-toi qu'une certaine Sabine a eu la bonne idée de me prêter La tournée d'automne de Jacques Poulin que je suis en train de lire...

* Pour ceux qui l'ignorent, Aliénor est l'héroïne de Il n'y a pas Internet au Paradis, le premier roman de Gaëlle Pingault, qu'il faut absolument lire si ce n'est déjà fait.

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