L'été des oranges amères - Claire Fuller
J'avais déjà pu admirer la dextérité de Claire Fuller à installer une atmosphère dans son précédent roman, le très addictif Un mariage anglais. C'est pourquoi je me suis glissée avec envie et curiosité dans ce nouvel opus au titre plein de promesses et au parfum estival. Première confirmation : Claire Fuller aime les contrepieds et les faux-semblants. Deuxième confirmation : on retrouve ce plaisir d'avancer à tâtons, totalement soumis à la cheffe d'orchestre et aux petits cailloux dont elle parsème son intrigue. Résultat : elle nous concocte un drame psychologique aux petits oignons et un roman parfait à savourer sur un transat au bord de la piscine.
J'ai été particulièrement impressionnée par l'héroïne qu'elle met en scène, aux antipodes des stéréotypes que l'on rencontre à tous les coins de page. A presque 40 ans, Frances Jellico est une vieille fille dont la mère malade auprès de laquelle elle vivait vient tout juste de mourir, la laissant pleine de sentiments ambivalents, entre ancien attachement et soif de liberté. Une proposition professionnelle arrive à point nommé et elle saisit immédiatement l'opportunité de la nouveauté. Un riche américain, M. Liebermann vient d'acheter un ancien domaine, Lyntons et la missionne pour faire l'inventaire des éléments d'architecture intéressants. Sur place, Frances fait la connaissance de Peter et Cara, engagés eux-aussi par Liebermann. Intriguée par Cara, jeune femme assez border line, attirée par le charme de Peter, Frances découvre par hasard un système d'observation dans le plancher de sa chambre lui offrant une vue sur la salle de bains du couple. Se faisant violence pour ne pas les espionner, elle va peu à peu se laisser prendre au jeu de l'amitié et se rapprocher du couple dont chaque membre lui fait des confidences. L'exploration de la maison, chargée d'histoire (elle aurait accueilli des réunions des alliés pendant la seconde guerre mondiale), révèle des surprises et enferme peu à peu le trio dans un drôle de jeu de rôles que Frances ne maîtrise plus. Jusqu'à ce que...
"Ce que nous sommes ne demeure nulle part ailleurs que dans nos esprits et dans les mémoires de ceux qui nous ont aimés".
Tout est affaire de perception et d'expérience. L'immaturité affective de Frances, son ignorance des jeux sociaux et sa naïveté sentimentale en font un personnage éminemment fragile. Engoncée dans les sous-vêtements rigides de sa mère, complexée par son corps grassouillet, Frances se laisse envoûter par l'atmosphère de liberté qui entoure Peter et Cara. Nous sommes en 1969, la société est encore corsetée à de nombreux égards. Des années plus tard, le vicaire de la paroisse cherchera à comprendre ce qui s'est vraiment passé cet été-là.
Claire Fuller nous offre un huis-clos à la fois sensuel et âpre, tout en psychologie, au rythme du récit de Frances dont la mémoire fluctue. Elle ne cherche pas à rendre ses personnages sympathiques (c'était déjà le cas dans Un mariage anglais), misant au contraire sur l'ambivalence qui caractérise chaque individu ; c'est peut-être ce qui rend son roman si efficace, tellement juste dans la façon de mettre à nu les faiblesses et les travers.
"L'été des oranges amères" - Claire Fuller - Stock - 410 pages
En juin, c'est le mois anglais, à retrouver sur Instagram (@lemoisanglais) et sur Facebook, ainsi que sur les blogs des participants.