Entre fauves - Colin Niel
Tout commence avec une photo, celle d'une jeune fille blonde posant avec son arc devant la dépouille d'un lion, quelque part en Afrique. Une photo que les "anti-chasse" ont vite fait de partager sur les réseaux sociaux où les commentaires haineux tombent par milliers sur le fil. Ça vous rappelle quelque chose ? Ce couple de gérants de supermarché ou quelques célébrités comme Luc Alphand pris en chasse par la meute des haters. Ils apparaissent d'ailleurs dans le roman de Colin Niel ces fanfarons posant fièrement devant les cadavres des animaux qu'ils viennent de traquer puis de tuer. Cette fille qui se cache sous le pseudo Leg Holas, Martin aimerait bien trouver son identité et la jeter en pâture aux lyncheurs. Lui, les animaux, il est là pour les protéger. Employé dans le parc national des Pyrénées, il observe chaque jour les dégâts du changement climatique et la perte de terrain des espèces face à l'empiètement de l'homme sur leur territoire. Sa plus grande crainte est de ne plus avoir de nouvelles de l'ours Cannellito, dernier représentant de l'espèce pyrénéenne, fils de Cannelle tuée par un chasseur. Martin est en colère, accepte de moins en moins bien la retenue imposée par son métier et se tournerait volontiers vers des méthodes plus radicales contre ceux qu'il déteste : les chasseurs. Alors, cette blonde, il se fait fort de la trouver et après... il ne sait pas trop ce qu'il se passera après, mais il lui fera passer le goût de la chasse.
Tout commence par une photo, donc. Que l'on partage sur les réseaux, dont on se raconte l'histoire sans en connaitre ni les tenants, ni les aboutissants. Un instantané, sujet à toutes les interprétations. Le lecteur, lui, est invité à en connaître plus, à démêler l'écheveau de l'histoire, à entendre la voix de tous les protagonistes, à se transporter quelques semaines en arrière, en Namibie, sur les traces de cette jeune fille dont cette chasse au lion est le cadeau d'anniversaire. Ce qui va se jouer là-bas est complexe, sur une terre où la protection des espèces sauvages est une règle, où les paysans Himbas doivent faire face aux prédateurs qui s'attaquent à leurs troupeaux, où un jeune homme peut encore imaginer prouver son courage en tuant le lion qui ruine son village et peut-être espérer ainsi épouser la jeune fille qu'il aime. Une terre où l'on paye très cher le droit de chasser un fauve lorsque son prélèvement a été autorisé. Une terre où l'on oublie peut-être de donner droit à la parole au premier intéressé. Colin Niel le fait et Charles, le lion, nous parle. Tout comme il nous offrira la voix de Cannellito, dans un subtil parallèle entre la situation du lion en Afrique et de l'ours dans les Pyrénées. Tous deux chassés et contestés sur leurs territoires par des hommes qui pensent, quel que soit leur camp, être dans leur bon droit.
Colin Niel a une façon incomparable de faire monter la tension et d'instiller le doute dans l'esprit du lecteur. D'interroger les limites du bien et du mal, d'explorer les zones grises. Son roman est une bonne claque à ceux qui jugent en un clin d’œil, à l'exploitation non réfléchie des images, aux idées simplistes. Construit sur le modèle d'une chasse, il bouge sans arrêt les positions des protagonistes qui se retrouvent alternativement chasseur ou traqué. Aucun repos pour le lecteur bousculé sans pitié dans toutes ses certitudes. L'auteur, lui, semble avoir choisi son camp, offre à son champion le mot de la fin et franchement, on le comprend.
"Entre fauves" - Colin Niel - Rouergue Noir - 344 pages