La belle lumière - Angélique Villeneuve
Dans mon univers de lectrice, il y a les auteurs dont j'admire le talent de conteur, les rois de la narration, les fées de la construction, les maîtres de l'intelligence. Les relations de trente ans, celles qui durent depuis quelques années seulement et se renforcent au fil des livres et les petits nouveaux, jolies surprises tombées du nid dont on ne sait pas encore ce qu'elles deviendront à la longue. Il y a des écrivains et des écrivaines, certains que j'adore, dont je me sens proche, d'autres que j'admire. Et puis il y a Angélique Villeneuve. Que je lis à chaque fois les yeux écarquillés, les sens en éveil, les frissons déferlant sur la peau. La précision de son écriture est aussi douce qu'un duvet de poussin, son regard a l'acuité de celui du chat, ses mots tracent un chemin qui serpente dans une forêt de nuances et invite à ressentir. Ressentir, c'est le mot-clé. Tout au long de son parcours, le lecteur ne prend pas connaissance de l'histoire de Kate Keller, il est Kate Keller.
C'est de cette performance dont j'ai envie de parler car il se trouvera beaucoup de monde pour raconter l'histoire d'Helen devenue aveugle, sourde et muette à l'âge de dix-neuf mois et dont le parcours incroyable a fait l'objet de nombreux écrits. De Kate, sa mère, on ne sait rien. J'ai lu il y a peu le témoignage d'un écrivain expliquant que pour lui son sujet était trouvé lorsqu'il estimait qu'un silence méritait d'être rempli. Et j'ai immédiatement pensé au travail d'Angélique Villeneuve pour ce livre. Se glisser dans la peau d'une femme pour laquelle elle éprouve une vive empathie, et sublimer son matériau pour en faire un objet à haute valeur ajoutée littéraire. Grâce à elle, le lecteur est transporté dans ce sud des États-Unis à la fin du 19ème siècle, il en ressent le climat, la végétation, l'atmosphère et les traces de l'histoire récente. Grâce à elle, chaque sensation de cette jeune femme mariée à un homme plus âgé, tenue de s'adapter à une nouvelle famille, désireuse de bien faire, chaque vibration de sa peau, chaque battement de son cœur nous est transmis. Tout est viscéral, presque animal. Son attachement à la terre, aux fleurs et aux arbres, le calme ou l’exaltation qu'elle en retire. La consolation aussi. Ses doutes, ses peurs, sa colère, sa solitude. Mais aussi sa culpabilité. Sa douleur de mère. Le lien à la fois sauvage et tendre avec son enfant dont elle peine à se détacher (à s'arracher a-t-on envie de dire) même si elle trouvera les ressources face aux enjeux du bien-être d'Helen. Toutes les dimensions de Kate sont saisies en un seul mouvement et une déferlante d'émotions.
J'emploie assez peu le mot grâce, je le réserve à Angélique Villeneuve. Il lui va toujours aussi bien.
"La belle lumière" - Angélique Villeneuve - Le Passage - 240 pages