Les nuits d'été - Thomas Flahaut
C'est un titre qui évoque la douceur, la volupté, la légèreté, peut-être la fête. Qui rappelle, dès la première ligne que pour certains, les étés ne riment pas avec vacances et farniente, mais avec boulot, usine et chaîne de production. Pourtant, ce n'est pas un titre trompeur. L'atmosphère tissée par Thomas Flahaut est charnelle, presque amoureuse. Les machines-outils sont des personnages que l'on caresse, dont on prend soin. Il nous dresse le portrait d'un monde qui disparaît, avec une sensibilité et une tendresse qui englobent tous les protagonistes de l'histoire. Autant j'avais trouvé Ostwald, son premier roman, très sombre, autant j'ai perçu dans celui-ci une lumière permanente, même au plus près du drame ou du désespoir.
Nous sommes dans l'Est de la France, région frontalière avec la Suisse où se rendent nombre de travailleurs chaque jour. Mehdi a ses habitudes chez Lacombe depuis quelques années, en été, tandis qu'il travaille l'hiver dans les stations de ski. Pour Thomas, son ami d'enfance, c'est le premier contrat. Il n'a pas encore dit à ses parents qu'il avait foiré ses examens et que ses espoirs de vie meilleure étaient pour l'instant mis de côté. Lacombe, c'est l'usine où son père a travaillé toute sa vie, jusqu'à épuisement. Un père qui pensait que ses enfants verraient autre chose. Louise, la sœur de Thomas prépare justement une thèse sur les travailleurs frontaliers. Elle observe, interviewe. Il y a du mouvement à l'usine, on demande plus de productivité, des réunions de types en costard se multiplient ; le contremaître a beau rassurer, l'inquiétude gagne. Puis la colère, teintée d'impuissance. La nuit cependant, on tente de danser quand même. Et puis de s'aimer.
C'est le roman d'une génération qui se heurte à la violence du monde du travail piloté par l'argent ; qui cherche en vain un peu de sens à l'image de Thomas qui s'interroge sur le vocabulaire employé pour le définir. Il est "opérateur de production" et non "ouvrier" comme on disait avant. La notion d’œuvre a disparu au profit de celle d'opération. Avant lui, Mehdi a fait l'expérience de la précarité, jamais sûr d'une saison à l'autre de pouvoir louer une chambre où dormir. Son organisme a intégré la fatigue inhérente tandis que Thomas, dans sa filière d'études longues découvre la vie avec retard et un corps plus fragile. Et a du mal à supporter des conditions que son père a pourtant subies toute sa vie. C'est l'histoire d'une génération qui a besoin de retrouver le sentiment de servir à quelque chose, à l'image de Louise qui part faire la cueillette des fruits parce qu'elle a besoin de voir le résultat concret de son travail. Tenter de dépasser la souffrance, les désillusions, tout ce que lui renvoient les hommes et les femmes qu'elle interroge.
Il y a bien sûr dans ce roman des éléments d'une expérience vécue par l'auteur, il le raconte lui-même d'ailleurs. Mais il parvient à sublimer son matériau pour faire résonner une petite musique teintée de mélancolie et livrer un roman poignant et délicat qui se lit presque en apnée. Je ne peux que vous inciter à découvrir cette voix d'un jeune auteur en lice pour le Prix de la Vocation.
"Les nuits d'été" - Thomas Flahaut - Editions de l'Olivier - 224 pages