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Sept gingembres - Christophe Perruchas

5 Octobre 2020 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

C'est un premier roman dérangeant, qui place le lecteur dans la tête du spécimen que tant d'autres livres pointent du doigt et dénoncent depuis quelques années : le mâle blanc, tout puissant et gonflé à la testostérone et à l'adrénaline. Cela ne se passe ni dans le milieu du cinéma, ni dans celui du spectacle, encore moins de la littérature. Non, simplement dans celui de la publicité, dont est issu l'auteur, il faut dire que l'on parle bien de ce que l'on connaît bien. Et puis les pervers narcissiques sont partout. On se souvient d'ailleurs du mouvement des Lionnes, bien décidées à mettre un terme aux pratiques sexistes et machistes de cet univers. C'est un roman donc, qui peut mettre mal à l'aise celui qui est invité à voir et à penser à travers l'esprit d'Antoine, Directeur adjoint d'une importante agence de publicité de la place de Paris, marié et père de famille, obsédé sexuel, pris dans l'engrenage trépidant d'un secteur qui se doit d'aller toujours plus vite et toujours plus fort dans un environnement des plus concurrentiels.

Antoine a 43 ans et affiche avec éclat sa réussite. Habitué à prendre ce qui lui fait envie, que ce soit la nouvelle recrue du planning stratégique ou sa jolie assistante. Antoine est marié, père de deux enfants, et affiche son bonheur et sa famille parfaite sur les réseaux sociaux. Antoine se confronte chaque jour à de nouveaux défis, de nouvelles batailles sous forme de budgets à gagner ou d'autres à sauver, de points de marge à dégager pour servir les objectifs fixés par les actionnaires. "Tous les matins je participe à une guerre silencieuse, qui a enrôlé la quasi-totalité des hommes et des femmes en âge de se battre (...). Je suis embarqué dans cette guerre, économique, de tous les instants, je me bats pour des intérêts qui me dépassent, je ne me bats même pas pour moi mais pour des gros types, chemises à manches courtes, qui s'encrassent les artères avec des barbecues et de la bière lite. Des retraités paraît-il. De Wenatchee ou d'ailleurs." Antoine est soudain mis en face de ses actes : plainte d'une salariée, soupçons de harcèlement, enquête de l'inspection du travail, début de la chute...

Antoine est le fruit d'un système qu'il contribue lui-même à entretenir, l'agence de publicité étant le réceptacle de toutes les dérives sociétales, analysant et amplifiant les mouvements et les tendances, les exploitant aussi à des fins commerciales. Suivre la façon dont il se débat, se leurre, se trompe, se complait puis se perd est éminemment troublant dans ce qu'elle révèle de la perte de sens mais également de la sensation d'impunité du personnage (le chapitre du séminaire des cadres de l'agence sur une île grecque, tellement parlant !). C'est un roman écrit par un publicitaire, avec ses codes, son concept mais également son regard affûté et habitué à décortiquer les phénomènes de société. Il tient le lecteur en haleine, suspendu à la trajectoire du héros autant qu'à ses propres questionnements sur la façon dont il se tient, lui, sur sa propre ligne, balloté par la folie du monde, attentif à ne pas chuter, parfois tenté de lâcher prise. Dérangeant et troublant.

"Qu'est-ce qui fait qu'un instant on est dans la vie qu'on dit normale, qu'on s'en échappe, sortie de route, qu'on rit trop fort et puis qu'on gifle les gens ? Que tout est parfois beau et drôle, possible et presque magique ? Et parfois lourd et triste à en crever, quasi viscéral, cancer des entrailles plutôt que de la tête ?"

"Sept gingembres" - Christophe Perruchas - Editions du Rouergue - 220 pages

 

 

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G
Ce roman pourrait me plaire. je n'en n'avais pas encore entendu parler, mais je note !
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N
On ne le voit pas beaucoup en effet. Et pourtant, le propos est plus que d'actualité, percutant, et en plus servi par une écriture très convaincante. Je ne peux que t'inciter à céder à ta curiosité.
A
Je passe... Le sujet ne m'attire vraiment pas.
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N
Je peux comprendre, même si le roman révèle des qualités qui dépassent le sujet.
D
Ah, il m'intriguait déjà celui-là... Tu attises le feu ;-)
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N
Tiens, je serais curieuse de ta lecture...
P
Le point de vue de ce roman est sans doute intéressant, mais je suis un lassée de tous ces romans qui revisitent des questions d'actualité.
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N
Je peux comprendre ça...
K
Il me semble que tu es la première à en parler?
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N
J'ai vu passer une ou deux chroniques il me semble mais en effet il ne fait pas partie des 4 ou 5 premiers romans dont tout le monde parle... Pourtant, il vaut le coup d’œil.