Indice des feux - Antoine Desjardins
Dans une interview au moment de la parution en France de L'Arbre-monde, Richard Powers parlait de la difficulté à sensibiliser sur les enjeux climatiques avec des chiffres et des graphiques, affirmant que pour toucher les individus il fallait parvenir à leur raconter une bonne histoire, une de celles dans lesquelles ils pourraient se projeter. C'est ce que s'attache à faire Antoine Desjardins avec non pas une mais sept bonnes histoires qui racontent finalement une seule et même chose : notre rapport étroit aux autres espèces, le danger flagrant qu'il y a à ignorer cette interdépendance, à la mépriser, à la nier. Des histoires de vie et de mort, à hauteur d'homme, sans juger, sans asséner de grandes pensées, sans moralisme. Des histoires simples, belles et fortes.
Ce qui est remarquable dans ce livre c'est l'unité qui se dégage de l'ensemble. On n'a presque pas envie de dissocier les textes qui le composent mais plutôt d'en parler comme d'un seul et même arbre fabriqué à partir d'essences diverses, chacune ayant son importance dans la démonstration finale. Au milieu se trouve un texte charnière intitulé Feu doux, l'un des plus longs. Il réunit deux frères aux comportements totalement opposés face à ce qu'ils perçoivent des évolutions de l'environnement et du monde, et qui symbolisent à mon sens l'ambivalence de chaque individu face à la difficulté de croire et encore plus à celle d'agir. Cette nouvelle m'a beaucoup fait penser au roman de Pierre Ducrozet, Le grand vertige et son vaste cortège de questionnements. Aux extrémités, les textes les plus émouvants. Il y est question de mort. Le premier, en ouverture, met en scène un adolescent hospitalisé en unité de soins palliatifs tandis que dehors, les catastrophes climatiques s'intensifient, les fleuves et les rivières débordent. Ces pages sont magnifiques dans ce qu'elles dépeignent du désarroi de l'être humain face à ce qui le dépasse, de l'appartenance d'un individu à un univers bien plus grand que lui. Dans une langue surprenante, attachante. En clôture du livre, c'est un vieil homme qui aborde la fin de sa vie et s'inquiète pour son arbre, un ulmus americana qu'il s'attache à protéger depuis des décennies et dont il n'a cessé de raconter l'histoire à son petit-fils. Une histoire qui dépasse là aussi celle des hommes, sur fond de transmission millénaire. Émouvante à pleurer. Entre les deux, on se sera interrogé avec un couple sur l'utilité de mettre un nouvel enfant sur cette terre, sur les messages que peuvent nous délivrer les oiseaux, sur nos points communs avec les coyotes ou sur la disparition des forêts au profit de zones bétonnées.
Si ce livre est aussi touchant c'est parce qu'il nous parle de nous avec la force de la simplicité, planquée sous un énorme travail d'écriture. Le tableau qui se dessine au fil des textes est celui d'un monde en danger et d'individus en plein doute, oscillant entre l'écoute et le déni, quelque peu démunis face à l'immensité de la tâche et cette interdépendance des espèces qu'ils ne savent pas comment gérer. Quelques arrêts sur images au milieu de cette immense fuite en avant qui semble nous engloutir. J'ai pris un immense plaisir à cette lecture, au point d'y revenir une deuxième fois. J'aime sa profondeur qui ne la ramène pas, le regard bienveillant que l'auteur pose sur nous autres, pauvres humains. J'adore ce livre.
"Indice des feux" - Antoine Desjardins - La Peuplade - 360 pages