Monstres anglais - James Scudamore
Dans son savoureux roman England, England, Julian Barnes fait dresser à l'un des protagonistes une liste des cinquante caractéristiques essentielles de l'Angleterre (je vous laisse le lire et découvrir pourquoi), liste dans laquelle figure en bonne place le principe du "pensionnat anglais". Aussi constitutif du pays que le pub ou le cricket, partie prenante du système de classes qui régit la société anglaise, c'est aussi une source intarissable pour les romanciers. Et le cœur du roman de James Scudamore, auteur que je découvre à cette occasion. Un roman qui interroge les séquelles indélébiles que laissent dans la plupart des esprits les quelques années passées dans ces lieux régis par des règles strictes et une tacite propension au secret.
L'histoire nous est racontée par Max, devenu adulte non sans difficultés. Il avait une dizaine d'années et vivait jusque-là à l'étranger au gré des affectations de son père, cadre dans une multinationale, revenant en Angleterre pendant les vacances chez ses grands-parents, lorsque la décision fut prise de le faire admettre dans un pensionnat. Gros changement de vie pour Max habitué à une certaine liberté d'action, et surtout à la tendresse bougonne de son grand-père. Conditions spartiates dans des bâtiments très anciens aux allures de château-fort, discipline rigide allant parfois jusqu'aux sévices corporels. Mais aussi l'amitié, les blagues potaches, l'apprentissage de la transgression, l'aventure, les jeux de rôle. Une atmosphère particulière. Plus tard, bien plus tard Max est toujours en contact avec Luke, Simon et Ish lorsque un scandale impliquant l'un de leurs anciens professeurs éclate, mettant en lumière la conduite parfois très "limite" de certains enseignants. Ce que Max découvre alors va provoquer chez lui une profonde remise en question : comment n'a-t-il pas perçu ce qui se tramait pour certains de ses plus proches camarades ? Comment agir des années après ? Et doit-on agir malgré la volonté des victimes de se taire ?
James Scudamore tisse un roman qui surfe avec beaucoup de savoir-faire sur une atmosphère très ambigüe, où le doute domine. Je n'aime pas trop ce terme de "zone grise" mais on est en plein dedans, entre témoignages des uns, déni des autres, et voile opaque délibérément jeté sur des pratiques ancestrales que personne n'a vraiment souhaité dénoncer pendant de longues années. Comment démêler les fils du vrai et du faux alors que les enfants ont eux-mêmes passé du temps à inventer des histoires et des mondes parallèles, que l'un d'entre eux continue d'ailleurs à perpétuer via les jeux vidéo dont il est devenu le concepteur ? Faut-il chercher dans ces années de pensionnat l'explication des difficultés à grandir de Max ? Tout ceci contribue au trouble qui ne quitte pas souvent le lecteur pris dans l'opacité des souvenirs de Max et l'ivresse des litres d'alcool ingurgités par le jeune homme.
Cependant, la beauté de la relation entre Max et son grand-père illumine le livre et vient peut-être sauver l'adulte que le jeune homme encore trop habité par l'enfant à peine adolescent de ces années de collège finit par devenir, dans la douleur. Cet ancrage, comme celui du chêne centenaire du jardin de ses grands-parents est ce qui lui permettra de grandir et d'assumer à son tour son rôle de père. C'est le fil qui tient le roman et le rend si touchant.
"Monstres anglais" - James Scudamore - La croisée - 416 pages (traduit de l'anglais par Carine Chichereau)