Un fils sans mémoire - Valentin Spitz
Il y a quelques jours, je suis tombée sur ces mots de Cécile Coulon* : "Je crois que c'est en grande partie cela le grand malheur des origines : savoir d'où l'on vient sans savoir où l'on va". De quoi ouvrir des abîmes de réflexion, quelle que soit la situation personnelle et familiale de celui qui la lit. Encore plus lorsque justement, on ne sait pas tout à fait d'où l'on vient. Lorsque les origines sont aussi floues que la photo qui orne la couverture du livre de Valentin Spitz, dont l'écriture semble destinée à faire la mise au point qui rendra l'ensemble plus net. Explorer le versant paternel comme on escalade une montagne en sachant qu'une fois arrivé au sommet, l'horizon sera dégagé, et l'avenir plus serein.
"Je veux dire que mes parents se sont aimés et tant pis si je n'étais pas là pour le voir. Imaginer, c'est vivre, et, écrire, n'est-ce pas parfois mieux que la vie ?"
C'est l'histoire d'un manque, d'une absence, d'autant plus cruelle qu'elle n'est pas totale. Le père de Valentin est célèbre sur l'antenne de Fun Radio dans les années 90. Le Doc conseille à l'antenne des centaines d'adolescents. On le trouve super, tendance, sympa. Mais pour Valentin, il n'est qu'une ombre, un silence, une douleur. Où va se nicher la genèse de l'écrivain... dans ces premiers carnets remplis pendant les longues heures d'attente des rendez-vous avec son père lorsque, un peu plus tard, la justice lui ordonnera d'assumer "un week-end sur deux". Des histoires inventées où le sort du père est souvent réglé de manière sanglante. Dans les lettres échangées avec sa cousine aussi. Pendant des années, Valentin va courir après ce père fantôme, jusqu'à orienter son parcours professionnel pour partager enfin quelque chose avec lui. Il y aura des moments de désespoir, de colère, mais toujours une volonté de comprendre. De connaître enfin ce versant paternel qui le constitue. Et toute l'histoire qui va avec, symbolisée par ce patronyme que Valentin s'est approprié sans en avoir légalement le droit et pour lequel il livrera une autre bataille, encouragé par son père. "Savoir d'où l'on vient", remonter le fil du temps, des guerres et des exils, débrouiller les fils de l'Histoire et des histoires. Pour enfin se tenir sur ses deux pieds. Bien équilibré. Capable à son tour d'accueillir un enfant et de lui transmettre une histoire complète.
J'ai dévoré ce récit émouvant et lumineux, qui est aussi un hommage à la mère de l'auteur, à celles et à ceux que cette quête a mis sur son chemin, à cette famille un peu plus que recomposée avec ses multiples ramifications de demi-frères et sœurs. Un récit dans lequel passe le bonheur d'un enfant aimé, celui des étés à Saint-Tropez, le souvenir de Juliette **. Un récit qui ne juge jamais, ne condamne personne mais cherche à se mettre à la hauteur des sentiments des uns et des autres. Pour l'auteur, c'est certainement une libération, la possibilité de se connecter entièrement au présent et de regarder vers l'avenir avec une nouvelle sérénité.
"(...) car rien de ce qui a existé ne peut exister à nouveau et que là réside la cruauté du réel. Notre regard d'adulte sur les territoires de l'enfance les abîme, les enrhume ; la nostalgie n'est qu'une chimère qui nous empêche de vivre. Nous écrivons pour ne pas être emportés avec elle".
"Un fils sans mémoire" - Valentin Spitz - Stock - 302 pages
* Texte de Cécile Coulon paru dans Zadig Le Mag #8 "Est-on de l'endroit où on naît ?"
** cf Juliette de Saint-Tropez, roman de Valentin Spitz paru en mai 2018