Frieda - Annabel Abbs
La biographie romancée, quand c'est bien fait, c'est un vrai plaisir. Et j'ai beaucoup aimé ces heures passées en compagnie de Frieda, née von Richthofen, morte Ravagali et qui aura aussi porté les noms de Weekley et de Lawrence. D.H. Lawrence, oui. L'écrivain et poète anglais dont elle fut la muse et bien plus que ça. Une sacrée femme, cette Frieda dont Annabel Abbs livre un portrait charnel, sensuel et libre. S'inspirant bien entendu de faits réels, la forme romancée lui offre l'opportunité de laisser parler son instinct, la façon dont elle perçoit Frieda d'après ce qu'elle a pu lire et recueillir sur cette femme qui a déjà tous les attributs d'une héroïne de roman, et bien sûr son admiration que l'on sent affleurer à chaque étape de la narration. S'engouffrer dans les pas de Frieda, c'est sentir souffler très fort le vent de la liberté...
Frieda est donc née von Richthofen, troisième fille d'un baron un peu trop joueur, sorte de vilain petit canard et garçon manqué sur les bords. Lorsque Ernest Weekley, professeur à Nottingham lui demande de l'épouser, sa vision romantique d'une éventuelle complicité intellectuelle et son envie "d'autre chose" brouillent certainement son jugement, tout comme ce fut le cas pour la Dorothea de Middlemarch vis à vis de M. Casaubon. Bref, la voici bientôt mère de trois jeunes enfants, installée dans une vie austère, toutes flammes éteintes. Sa sœur aînée l'ayant convaincue de venir lui rendre visite à Munich, Frieda va découvrir des façons de vivre totalement différentes auprès de chantres de la liberté de mœurs qu'elle ne tardera plus à expérimenter elle-même. Ce séjour sera fondateur pour cette femme qui n'aura de cesse de creuser ce sillon pour conquérir plus avant cette liberté qui passe par le plaisir intellectuel autant que charnel. Nous sommes en 1907 et l'on imagine bien ce que cela implique pour une femme, particulièrement dans la pudibonde Angleterre, bien éloignée de l'avant-gardisme munichois. Lorsqu'elle rencontre D.H. Lawrence en 1912, il est un étudiant de son mari. Leur liaison, puis leur fuite feront scandale, couteront très cher à Frieda mais les années qu'ils passeront ensemble influenceront toute l’œuvre de Lawrence, pas seulement L'amant de Lady Chatterley.
Et c'est ce que l'auteure met formidablement en scène, composant des tableaux de toute beauté, imprégnés d'une relation charnelle à la nature. Où l'on apprend d'ailleurs que la forêt de Sherwood pouvait abriter bien d'autres ébats que les entraînements au tir à l'arc des compagnons de Robin des bois. Sans nier la difficulté du parcours, depuis l'intransigeance du mari jusqu'à la relation parfois violente et excessive avec Lawrence, Annabel Abbs prend le parti de Frieda et de sa volonté farouche d'être en accord avec elle-même. Documenté et passionné, ce portrait d'une femme hors norme est aussi agréable à lire qu'instructif. Il donne très envie de se trouver une petite clairière dans les bois, à l'abri des regards pour aller se rouler un peu dans la végétation, si possible bien accompagné...
"Il fallait qu'elle sache de quelle trempe il était. Elle attendrait une semaine et passerait encore un peu de temps avec lui : il avait parlé d'aller voir une pièce au Théâtre royal de Nottingham et de revenir lui rendre visite pour travailler sa grammaire allemande. Ensuite, s'il l'éblouissait toujours autant, elle l'emmènerait dans les bois et lui montrerait qui elle était vraiment. Elle laisserait son corps parler, le plus effrontément possible. Il est si rare de voir un anglais épargné par la pruderie, le refoulement ou la lubricité ! Mais elle devait être sûre qu'il était dépourvu de ces traits de caractère et aussi ouvert qu'il le prétendait. Oui, elle l'emmènerait dans les bois et le mettrait à l'épreuve."
"Frieda" - Annabel Abbs - Pocket (Hervé Choplin) - 510 pages (traduit de l'anglais par Anne-Carole Grillot)