Hamnet - Maggie O'Farrell
Voici un billet dont je repousse l'écriture depuis un bon moment, la faute à tous ces sentiments contradictoires qui s'affrontent dans mon esprit. Ai-je aimé ce livre ? Oui et non. Le plus compliqué arrive donc maintenant, tenter de mettre de l'ordre et d'isoler ces sons discordants qui m'ont empêchée de me laisser complètement porter par une plume qui a pourtant su me charmer à de nombreuses reprises par le passé.
Maggie O'Farrell s'empare de l'histoire méconnue d'Hamnet dont la mort tragique à l'âge de 11 ans inspira à son père, William Shakespeare une célèbre pièce qui a traversé les siècles. Elle fait de la dramatique journée le fil rouge de son roman, mettant le lecteur dans la peau du jeune garçon affolé face à la santé brusquement déclinante de sa sœur jumelle, Judith qui présente tous les symptômes de la peste ; Hamnet cherche de l'aide mais ni ses grands-parents, ni sa mère ni sa sœur aînée ne sont à proximité. Pendant que cette journée suit son cours funeste, on remonte le fil du temps par fragments, depuis la rencontre de Will le précepteur et d'Agnès, fille de fermier, la façon dont ils seront contraints de forcer le destin pour pouvoir se marier face à des familles pires que dysfonctionnelles. Peu à peu se dessinent les personnalités atypiques des deux amoureux, la volonté de Will d'échapper aux plans de son père, le caractère indépendant d'Agnès qui semble posséder des dons de guérisseuse et vit en totale harmonie avec la nature.
Le personnage d'Agnès est ce qui m'a maintenue dans le récit. J'ai trouvé de toute beauté les pages qui décrivent ses liens avec la nature, la façon dont elle fait corps avec les éléments au point de ressentir les individus simplement en leur prenant la main. Maggie O'Farrell nous offre l'un des personnages féminins les plus intéressants que j'aie croisés récemment, à la fois fort, empathique, indépendant, profond et nimbé d'un voile de poésie. Ce rapport à la nature, très inspiré de la mythologie irlandaise m'a beaucoup plu. Pourtant, l'émotion ne m'a pas gagnée et je suis restée en dehors de cette histoire. La faute à ce fil rouge je pense. Cette journée qui s'étire de manière interminable et très exagérée (après tout, on en connaît malheureusement l'issue fatale). Cette façon un peu trop visible de chercher à appuyer sur la corde sensible a eu comme un effet repoussoir sur moi. Quelque chose d'artificiel est venu gâcher ma lecture. Et malgré de jolies trouvailles, comme ce voyage d'une puce porteuse de la peste ou l'intense scène finale du théâtre, je n'ai pas complètement embarqué. La distance prise avec le personnage de Will n'a certainement pas aidé. Dommage pour le propos sur le pouvoir consolateur de l'art.
Reste l'écriture toujours inspirée de Maggie O'Farrell, son talent pour creuser au plus près des sentiments humains ; peut-être a-t-elle tout simplement perdu un peu de son pouvoir sur moi, ou bien sont-ce ma sensibilité et mes attentes qui changent ?
"Hamnet" - Maggie O'Farrell - Belfond - 360 pages (traduit de l'anglais (Irlande) par Sarah Tardy