Xingu ou l'Art subtil de l'ignorance - Edith Wharton
Je pensais avoir lu toutes les œuvres d'Edith Wharton et voilà qu'une bande d'apprentis éditeurs me démontre le contraire en décidant de publier cette savoureuse novella. C'est lors d'une rencontre Vleel (Varions les éditions en live, sur Instagram) que j'ai découvert cette maison d'édition pas comme les autres, L'Apprentie, née de l'initiative d'un enseignant du CFA de l'IUT Bordeaux Montaigne. Tout comme il existe des restaurants d'application dans les cursus hôteliers, l'Apprentie est gérée chaque année par des étudiants qui mènent leur projet de A à Z : choisir un texte, le faire traduire le cas échéant, le publier, l'imprimer, le lancer dans le circuit commercial, se battre avec les contraintes budgétaires... et arriver ainsi dans la vie professionnelle avec une réelle expérience. Xingu ou l'Art subtil de l'ignorance fut le tout premier ouvrage publié par l'Apprentie en 2019, et c'est un excellent choix !
Un excellent choix parce que l'esprit mordant d'Edith Wharton fait merveille dans le format court. Parce que l'écrivaine choisit de porter le fer avec malice et méchanceté sur tous ceux qui s'érigent en chantres de la critique et du bon goût littéraire. Elle choisit pour cela de dépeindre une réunion d'un cercle de lecture de Nouvelle-Angleterre, dont les membres sont exclusivement féminins et issus de la bonne société de la bourgade d'Hillbridge. Le "lunch club" se réunit régulièrement autour d'une invitée choisie avec soin afin que la discussion soit de qualité. Mais il suffit parfois d'un grain de sable pour faire trembler la paisible surface des apparences... C'est ce moment délicieusement cruel que l'auteure choisit de mettre en scène avec une gourmandise perverse et sa science de l'observation (pour mieux la dénoncer) de l'hypocrisie d'une société qu'elle connaît bien pour en être issue. Les travers qu'elle pointe non sans humour ne nous sont pas étrangers plus d'un siècle plus tard, ils prennent d'autres formes mais sont faciles à reconnaître, en premier lieu celui de tenir à parler de choses dont on ne connaît absolument rien.
Cerise sur le gâteau, L'Apprentie nous propose une version bilingue, idéale pour celles et ceux qui voudraient en profiter pour travailler un peu leur anglais de façon réjouissante. Pour ma part, je suis doublement ravie, d'avoir découvert ce texte qui va rejoindre mon étagère Wharton et cette initiative éditoriale que je vais continuer à soutenir puisque les étudiants publient 2 à 3 textes chaque année. Pour en savoir plus : Editions l'Apprentie
""Le livre du jour" était le domaine de Mrs Ballinger. Avec assurance et autorité et quel qu'en fût le sujet, roman ou traité de psychologie expérimentale, elle était au courant des dernières nouveautés. Ce qu'il advenait des livres de l'an dernier ou même de la semaine dernière, des sujets qu'elle avait défendus d'une voix égale et assurée, personne ne l'avait encore découvert. Son esprit était un hôtel où les vérités arrivaient et repartaient comme des locataires à la journée, de ceux qui s'éclipsent sans laisser d'adresse et souvent sans régler la note. C'était là toute sa fierté : marcher au rythme des Idées du temps présent, et elle mettait un point d'honneur à ce que les livres disposés sur sa table exprimassent cette position avant-gardiste."
"Xingu ou l'Art subtil de l'ignorance" - Edith Wharton - L'Apprentie - 80 pages (x2) (traduit de l'américain par Claudine Lesage