Double vitrage - Halldora Thoroddsen
Parfois les réseaux sociaux ont du bon. Sans les posts de deux relations qui ont plutôt bon goût et n'hésitent pas à sortir des autoroutes "main stream", je n'aurais sans doute pas entendu parler de ce livre. La preuve, je ne connaissais pas cette maison d'édition créée en 2015 et qui mérite que l'on se penche sur son cas, j'y reviendrai. Double vitrage est un court roman comme je les aime, avec un ton, un regard, de l'audace dans le choix de son sujet. Une héroïne de 78 ans, l'exploration de la vieillesse... hum, on a déjà connu plus vendeur. Même en y ajoutant une histoire d'amour, les lecteurs ne vont pas se précipiter. Eh bien, ils auraient tort.
Elle observe le monde depuis sa fenêtre, à l'abri du double vitrage. Elle ne sort plus beaucoup, quelques courses, une réunion avec la bande d'amis qui se réduit au fil des années, et un petit verre au pub du coin de la rue le samedi soir. Son mari, l'homme qui avait brisé sa solitude, rempli les murs de son humour joyeux pendant de longues années est mort désormais. Elle ne sait plus trop ce qu'elle fait là, s'est toujours sentie en décalage avec le monde extérieur dont les échos lui parviennent parfois avec fracas, elle se demande pourquoi ce vieil homme la regarde jusqu'à ce qu'il trouve le courage de l'aborder. Une histoire d'amour ? Maintenant ? Quelle drôle d'idée...
"Toujours la même histoire, un garçon rencontre une fille. Est-ce là tout ce que nous savons faire ? Le dénommé troisième âge ne propose-t-il pas une autre forme de participation ? Une autre forme d'amour ? On n'attend tout de même pas de nous qu'on façonne un petit nid douillet si près de la fin. Tomber amoureux maintenant c'est un soin palliatif de misère."
A travers cette histoire, l'auteure explore un environnement qui se singularise par le rapport au temps de ceux qui ont déjà beaucoup vécu et voient également approcher à grands pas l'échéance fatale. La trop grande expérience peut être un frein à se lancer dans une nouvelle aventure, lâcher prise, consentir au risque, pas si simple. Mais le regard de cette femme, sans illusion mais pas sans espoir est teinté d'un humour caustique qui emporte le morceau. Loin d'être autocentré, il englobe un monde qui court à sa perte, sur fond de crise financière en Islande, de cacophonie médiatique et de dérèglement climatique. Et jette une lumière crue mais tendre sur la réalité des êtres au crépuscule de leur vie, leur quête d'une façon d'être harmonieusement au monde, entre envie de faire encore et renoncement assumé. C'est poignant de lucidité.
"Nombreuses sont les jouissances, pour ainsi dire à portée de mains, qu'elle laissera probablement passer. Elles lui échapperont toujours, probablement comme elles échapperont à ceux qui parcourent le monde à leur recherche. Le divertissement. Quel triste mot. Faire diversion."
Ayez la curiosité d'ouvrir ce Double vitrage, il ne cherche pas à faire diversion et ne laisse pas indifférent.
"Double vitrage" - Halldora Thoroddsen - Les éditions Bleu et Jaune - 100 pages (traduit de l'islandais par Jean-Christophe Salaün
Les éditions Bleu et Jaune ont été fondées en 2015 et inscrivent leur ligne éditoriale dans l'ouverture sur le monde. Ils sont également engagés en faveur de la planète par des actions concrètes dans la chaîne du livre. L'échantillon que je viens de goûter me donne envie de continuer à découvrir leurs publication. N'hésitez pas à visiter leur site.