Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
motspourmots.fr

Les Filles d'Egalie - Gerd Brantenberg

23 Janvier 2022 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Ce roman norvégien a presque 50 ans, et c'est seulement maintenant qu'il est enfin traduit en français, par les bons soins de Jean-Baptiste Coursaud sous l'impulsion des éditions Zulma, dénicheurs de pépites aux quatre coins du monde. Super idée car ce texte a le mérite de nous faire prendre conscience de la façon dont nous sommes habitués au règne du masculin rien que par les règles grammaticales. Vous savez le fameux "le masculin l'emporte". Gerd Brantenberg renverse tout et en premier lieu cette règle : ici, c'est le féminin qui l'emporte et franchement, à la lecture ça fait tout drôle, d'où mon admiration pour le traducteur. J'ai beaucoup pensé à Alice Zeniter et à son Je suis une fille sans histoires dans lequel elle expose la nécessité impérieuse de commencer par raconter les histoires autrement pour envisager de changer profondément les mentalités. Gerd Brantenberg a dû avoir cette idée-là justement, et l'expérience est étonnante.

Car en Egalie, elle fait bon vivre. Les femmes s'occupent des choses importantes comme les affaires de l'état, les grandes entreprises, le parlement et bien sûr la mise au monde des enfants dans un grand cérémonial, une démonstration de la toute-puissance du cycle naturel. Les hommes sont au foyer s'ils ont la chance de bénéficier d'un "pacte de protège paternité", s'occupent des enfants, de soigner leurs rondeurs et de coiffer leur barbe, sinon, ils sont invités à servir de main d’œuvre bon marché là où le besoin se fait sentir. Quelle que soit leur situation, hors de question de sortir sans leur soutien-verge. Petronius, le fils de la directrice Brame (cheffe de l'état) est un adolescent peu intéressé par la perspective du bal des débutants, ce qu'il veut c'est devenir marine-pêcheuse. Un homme marine-pêcheuse ? Impossible, ils n'ont pas les capacités. Bref il est en pleine crise de masculinisme et la révolte va peut-être gronder en Egalie...

Sous couvert d'une fable faussement légère, Les Filles d'Egalie fait ressortir toute l'absurdité d'un système qui assigne une place dans la société en fonction du genre et n'hésite pas à en accentuer les effets pervers. Le changement de paradigme permet de voir ce que les habitudes finissent par rendre imperceptible au point que les discours destinés à changer se perdent parfois dans le vide. Le propos est autant politique qu'écologique et s'appuie avec intelligence sur la puissance des légendes et la force des histoires qui traversent les siècles pour formater nos sociétés. Si on le lit souvent avec le sourire, ce texte donne à réfléchir et incite à élargir son angle de vue. C'est habilement fait et l'écho avec notre époque est explosif. Levons nos verres de Jeannette Walker et trinquons à la santé des conteuses !

"Les filles d'Egalie" - Gerd Brantenberg - Zulma - 376 pages (traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud)

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
Je suis en train de lire le livre de Titou Lecoq, Les grandes oubliées de l'histoire. Les thématiques se rejoignent. Mais un roman de ce genre écrit il y a 50 ans, ça interpelle forcément !
Répondre
N
Oui, c'est forcément une autre approche, ici on est dans la fable mais bien sûr tout ce qui peut enrichir la thématique est le bienvenu.
K
Comme les copines blogueuses, ce qui m'épate le plus c'est que ce texte ait été écrit il y a cinquante ans ! Je l'avais noté et compte bien le lire !
Répondre
N
Je n'en avais même jamais entendu parler avant que Zulma ne le présente... Le propos est hyper actuel notamment sur les questions d'écologie.
K
Un roman écrit il y a 50 ans sur un tel sujet ! Incroyable. Ça donne très envie de le découvrir.
Répondre
N
Oui, c'est dingue qu'il ait mis si longtemps à venir jusqu'à nous alors qu'il a été traduit avec succès dans pas mal de pays comme c'est expliqué dans la postface du livre.
K
Je viens e lire le livre de Titiou lecoq, là ça complèterait bien! Et j'ai emprunté celui de Zeniter!
Répondre
N
Ah oui, on est dans le thème...même si dans la forme ça donne quelque chose de très très singulier :-)
D
Le plus étonnant, en fait, c'est que ce roman ait été écrit il y a 50 ans ! En tout cas, merci pour le coup de projo, je le note, comme on dit (même si, en même temps, je crains un peu le côté caricatural. Mais, comme tu le dis si bien, cette inversion c'est précisément ce qui permet de percevoir ce que dans la vraie vie on ne remarque - ou, plutôt, feint - de ne plus remarquer.)
Répondre
N
J'ai trouvé que l'écueil de la caricature était plutôt bien esquivé sous la forme de clin d’œil assumé. L'exercice est convaincant même si la forme de la fable ne laisse aucun doute sur le fait que nous sommes bien dans le domaine de la fiction. Et l'effet en termes de lecture joue parfaitement son rôle pour étayer le propos. Vraiment intéressant.