Les Filles d'Egalie - Gerd Brantenberg
Ce roman norvégien a presque 50 ans, et c'est seulement maintenant qu'il est enfin traduit en français, par les bons soins de Jean-Baptiste Coursaud sous l'impulsion des éditions Zulma, dénicheurs de pépites aux quatre coins du monde. Super idée car ce texte a le mérite de nous faire prendre conscience de la façon dont nous sommes habitués au règne du masculin rien que par les règles grammaticales. Vous savez le fameux "le masculin l'emporte". Gerd Brantenberg renverse tout et en premier lieu cette règle : ici, c'est le féminin qui l'emporte et franchement, à la lecture ça fait tout drôle, d'où mon admiration pour le traducteur. J'ai beaucoup pensé à Alice Zeniter et à son Je suis une fille sans histoires dans lequel elle expose la nécessité impérieuse de commencer par raconter les histoires autrement pour envisager de changer profondément les mentalités. Gerd Brantenberg a dû avoir cette idée-là justement, et l'expérience est étonnante.
Car en Egalie, elle fait bon vivre. Les femmes s'occupent des choses importantes comme les affaires de l'état, les grandes entreprises, le parlement et bien sûr la mise au monde des enfants dans un grand cérémonial, une démonstration de la toute-puissance du cycle naturel. Les hommes sont au foyer s'ils ont la chance de bénéficier d'un "pacte de protège paternité", s'occupent des enfants, de soigner leurs rondeurs et de coiffer leur barbe, sinon, ils sont invités à servir de main d’œuvre bon marché là où le besoin se fait sentir. Quelle que soit leur situation, hors de question de sortir sans leur soutien-verge. Petronius, le fils de la directrice Brame (cheffe de l'état) est un adolescent peu intéressé par la perspective du bal des débutants, ce qu'il veut c'est devenir marine-pêcheuse. Un homme marine-pêcheuse ? Impossible, ils n'ont pas les capacités. Bref il est en pleine crise de masculinisme et la révolte va peut-être gronder en Egalie...
Sous couvert d'une fable faussement légère, Les Filles d'Egalie fait ressortir toute l'absurdité d'un système qui assigne une place dans la société en fonction du genre et n'hésite pas à en accentuer les effets pervers. Le changement de paradigme permet de voir ce que les habitudes finissent par rendre imperceptible au point que les discours destinés à changer se perdent parfois dans le vide. Le propos est autant politique qu'écologique et s'appuie avec intelligence sur la puissance des légendes et la force des histoires qui traversent les siècles pour formater nos sociétés. Si on le lit souvent avec le sourire, ce texte donne à réfléchir et incite à élargir son angle de vue. C'est habilement fait et l'écho avec notre époque est explosif. Levons nos verres de Jeannette Walker et trinquons à la santé des conteuses !
"Les filles d'Egalie" - Gerd Brantenberg - Zulma - 376 pages (traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud)