Triste Boomer - Isabelle Flaten
Chère Isabelle, il faut que je vous remercie pour avoir osé twister le bon vieux conte de fées afin de nous en livrer une version aussi savoureuse qu'impertinente. Grâce à vous j'avais déjà passé quelques délicieux moments en compagnie de l'inoubliable Adelphe, et bénéficié d'un éclairage singulier sur le mariage par la voix de la terrible Lenka. Il faudra désormais compter avec John et Salomé, qui devraient pouvoir postuler au titre de couple de l'année, irrésistiblement ancré dans le 21ème siècle. Pour celles et ceux qui se demandent à quoi peut bien ressembler un conte de fées en 2022, vous répondez start-uper vieillissant, châtelaine malgré elle, culte du corps et du bien-être, féminisme, business de l'apparence, quête de sens. Et peur du vide. C'est elle qui pousse John à recontacter Salomé, l'une de ses anciennes conquêtes. Il est bourré de questionnements existentiels, John. Sur cette époque qui avance de plus en plus vite alors qu'il peine à raccrocher les wagons, sur les femmes dont il ne comprend plus trop les aspirations si tant est qu'il les ait comprises un jour. Il a gagné pas mal d'argent mais, on le sait pourtant, ça ne fait pas le bonheur. Et Salomé ? Après sa rupture avec John, elle a vécu un vrai conte de fées pour le coup. LA rencontre, le mariage et le château en prime, réalisant ainsi le rêve de sa mère. Deux enfants désormais adultes et un veuvage plus tard, la voici elle aussi en plein doute. L'âge ouvre-t-il encore des possibles ? Doit-elle accepter de revoir John ? Ça vous fait rire tout ça, Isabelle, je l'ai bien senti. Vous les aimez bien, les deux mais c'est l'époque qui ne tourne pas rond. Ces concepts alternatifs, "écolo-naturo-féministe" je sens que vous adorez. Belle trouvaille de confier le récit à quelques témoins privilégiés. L'ordinateur de John le connaît mieux que personne (note à moi-même : penser à effacer mes traces dans la mémoire du mien), ça aide. Quant au tableau de l'ancêtre dont Salomé a fait son confident, sa vision de la vie et ses évaluations à l'aune de son vécu moyenâgeux sont tout simplement savoureuses. N'oublions pas le chœur des voisines, jolie métaphore de nos existences vouées à l'observation et aux commentaires publics. Vous mêlez ainsi les époques à travers la mémoire d'un disque dur et celle d'un ancêtre aristocrate décati pour mieux pointer les aberrations, les excès d'une période où il est difficile de discerner la vérité des êtres et ce qui est vraiment important. Bien sûr, tous ces gens ont des problèmes de riches, des enfants qui ne veulent pas prendre la succession, des charges à payer... Il ne faut pas croire que c'est facile, la vie de château. Vous vous moquez un peu, Isabelle. Si, si. C'est subtil mais le sarcasme n'est pas loin même s'il n'éclipse jamais la tendresse. C'est important la tendresse, parce que, château ou pas château, un jour où l'autre le mot fin apparaît, alors autant que ça se passe le mieux possible. Dans cette perspective, à l'approche de nos vieux jours, on pourra toujours recommander la compagnie de vos livres. Subversifs juste ce qu'il faut. Nappés d'un voile d'insolence. Mais portés par une profonde empathie pour les pauvres humains que nous sommes. Merci Isabelle et longue vie à John et Salomé.
"Triste Boomer" - Isabelle Flaten - Le Nouvel Attila - 196 pages