Les choses que nous avons vues - Hanna Bervoets
La naissance d'une maison d'édition, c'est une nouvelle que l'on a envie de fêter et de colporter. Quand en plus elle se nomme "Le bruit du monde" et que l'on a justement décidé d'écouter un peu plus les littératures du monde, la coïncidence est trop belle. Et puis je fais confiance à Marie-Pierre Gracedieu dont le portefeuille d'auteurs chez Gallimard m'a tellement fait vibrer... Alors va pour la découverte de ce tout premier titre, premier livre traduit en français d'une autrice déjà reconnue aux Pays-Bas où elle a reçu le prix le plus prestigieux pour l'ensemble de son œuvre. Un roman court, un roman choc et très certainement représentatif de cette observation de notre monde dont la maison d'édition veut se faire l'écho.
C'est à une plongée dans l'univers des modérateurs de contenus sur Internet que nous invite Hanna Bervoets. Celles et ceux qui, derrière nos écrans, arbitrent selon les règles établies par les plateformes les éventuelles censures. Des règles qui changent sans arrêt, et avec lesquelles les modérateurs jonglent sous le contrôle de superviseurs obsédés par le rendement. Kailegh a accepté ce poste après quelques soucis financiers, elle s'en accommode, d'autres composent avec leurs cauchemars. Dans sa vie solitaire, ses collègues font figure de copains, la belle Sigrid même un peu plus que ça. Jusqu'à ce qu'une discussion lors d'une simple pause cigarette vienne mettre à jour des comportements insoupçonnés...
L'autrice saisit une certaine atmosphère et nous fait pénétrer dans les coulisses pour découvrir l'envers du décor. Mais surtout, elle parvient à interpeler avec force sur le poids des images et l'influence des idées qui nous passent tous les jours devant les yeux. Les personnages du livre représentent l'exposition extrême et sans filtre puisqu'ils sont censés être ce filtre. Comment imaginer que ce qu'ils voient ne les impacte pas ? Qui les protège, eux ? Sans grands discours, Hanna Bervoets orchestre une sorte de mise en abyme sous haute tension, dont le paroxysme est une scène aussi banale que sidérante dans ce qu'elle montre de ce qui se joue vraiment sur la toile. C'est diablement efficace dans le sens où cela renvoie chacun de nous à sa propre exposition et à la façon dont il exerce - ou pas - son esprit critique.
On dit que la bonne littérature est celle qui offre des angles de vue inédits et oblige à se poser des questions, ce roman coche toutes les cases, il bouscule et interpelle. Voilà un bruit qu'il est bon de propager et instructif d'écouter.
"Les choses que nous avons vues" - Hanna Bervoets - Le bruit du monde - 148 pages (traduit du néerlandais par Noëlle Michel)