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Une arche de lumière - Dermot Bolger

21 Février 2022 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans, #Coups de coeur

"Quoi que la vie te réserve, promets-moi de te battre bec et ongles pour le droit au bonheur".

Cette demande a l'air simple, pourtant dans une société où l'on se préoccupe surtout de son statut elle a de quoi surprendre. Cette phrase prononcée par sa mère le jour de son mariage, Eva ne l'oubliera jamais. Elle la confortera dans ses choix, lui fera relancer la marche avant lorsqu'elle se trouvera temporairement enlisée, lui permettra de construire sa vie en suivant son instinct. Qu'est-ce que le bonheur ? Éternelle question à laquelle chacun répondra de façon très personnelle. Pour Eva, le bonheur a un rapport étroit avec la liberté. Et sa recherche de liberté va l'amener à faire puis assumer des choix qui la mettront en marge de la société pendant une bonne partie de sa vie. Dès le moment où, en 1949, à 46 ans elle convainc son mari de la laisser partir. Elle quitte la demeure cossue des Fitzgerald pour une petite maison à Dublin où elle s'installe avec ses deux enfants déjà grands et prêts à faire leur vie de leur côté. Elle ouvre une école d'art pour les enfants, persuadée que laisser s'exprimer la créativité est le premier pas vers la construction de soi. Elle ne sait pas encore à cette époque qu'elle n'est qu'au milieu de sa vie, que de terribles chagrins l'attendent. Mais aussi des rencontres. En Irlande, en Espagne, au Maroc, dans les îles britanniques et même au Kenya où vit sa fille, mariée à un propriétaire terrien. Partout où ses envies la portent. Une vie sobre, débarrassée de vaines possession, axée sur le rapport aux autres, sur l'engagement pour les causes qui lui tiennent à cœur, sur une certaine spiritualité à mille lieues des murs fermés des églises. Jusqu'à sa (presque) dernière demeure, une roulotte qui lui permet de se poser quelque temps et de repartir, défendant farouchement son indépendance et sa liberté, et que sa petite fille baptisera "l'arche", nom prédestiné.

Une arche de lumière traverse la seconde moitié du 20ème siècle aux côtés d'une héroïne formidablement attachante sur fond de conflit irlandais, de décolonisation et de luttes pour toutes les émancipations qu'il s'agisse de l'apartheid en Afrique du Sud, du droit des femmes ou de ceux des homosexuels. Eva s'intéresse au vivant, à la personnalité de chacun, mère attentionnée et inquiète, grand-mère éblouie, oreille attentive et réconfortante pour celles et ceux qui se donnent la peine de dépasser les convenances. Prête à renoncer à son dernier rêve, s'installer au Costa Rica pour ne pas abandonner son vieux chien.

Cela faisait bien longtemps qu'un roman ne m'avait autant émue. Peut-être parce qu'il interroge tellement le sens de la vie, sans effets spéciaux, à l'aune de sentiments palpables. Sans doute aussi parce que Dermot Bolger s'inspire d'une femme qu'il a réellement rencontrée comme il le raconte dans une très belle postface. Dans un monde où nous faisons face à de plus en plus d'injonctions parfois contradictoires, où la pression de l'image et de la consommation n'ont jamais été aussi fortes, où le bruit se fait assourdissant, ce personnage déterminé à suivre sa voie, à assumer une sorte de décroissance en se contentant du minimum vital et surtout à savourer les instants d'un bonheur très simple est tellement inspirant.

Il y aurait encore beaucoup à dire. Pourtant, ce qui me semble le plus important c'est de souligner la beauté poignante qui se dégage de ce roman à l'image de ces quelques mots que Francis, le fils d'Eva adresse à sa mère dans une lettre : "Aujourd'hui, pendant que j'en dégageais un (arbre), j'ai compris ce que toi et moi nous devons faire de nos vies : éclaircir autour de nous un espace suffisant pour pouvoir y respirer et simplement vivre notre vie, en restant nous-mêmes."

Le plus beau roman que j'aie eu sous les yeux depuis un bout de temps.

"Une arche de lumière" - Dermot Bolger - Joëlle Losfeld Editions - 460 pages (traduit de l'anglais (Irlande) par Marie-Hélène Dumas)

NB : j'apprends ainsi que l'auteur a déjà écrit auparavant sur certains des personnages évoqués ici, mais les deux romans se lisent indépendamment l'un de l'autre. 

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A
J'ai été captivée par ta chronique ! Merci pour ce coup de coeur que je partage avec plaisir.
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N
Merci à toi, car c'est exactement ce genre d'enthousiasme que j'ai envie de partager à l'infini.
C
Quelle belle chronique ! tu me donnes envie de découvrir ce livre. <br /> Bonne journée !
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N
Ce roman est magnifique, j'espère sincèrement donner envie à quelques lecteurs de le découvrir et si c'est le cas pour toi alors j'en suis heureuse.
K
Tu sais drôlement bien donner envie, je connaissais l'auteur de nom seulement, sans doute la bibli?
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N
Peut-être qu'à la bibli tu trouveras celui qu'il a écrit avant, avec certains des personnages qui apparaissent ici "Toute la famille sur la jetée du paradis"... que je vais m'empresser de lire (a priori les deux peuvent se lire indépendamment). En attendant que celui-ci arrive :-)
K
Oh mais là, tu me tentes terriblement !
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N
C'est vraiment le genre de lecture parfaite, bien immersive, émouvante... J'ai flâné dedans une bonne semaine, je n'avais pas envie que ça s'arrête. Belle découverte que cet auteur.