dehors, la tempête - Clémentine Mélois
Cela fait plusieurs semaines que je picore ce livre délicieux, inclassable. Je l'embarque avec moi pour un café, un voyage en train, une étape au soleil sur un banc. Je lis, je relis. Il me semble qu'on peut n'avoir jamais fini de le lire car c'est un recueil à tiroirs que l'on peut ouvrir sans y trouver à chaque fois la même chose. Ceux qui vivent dans les livres ne peuvent que s'y sentir dans leur élément. Clémentine Mélois mélange les genres, désaxe la réalité et donne à la fiction des accents de vérité. Elle crée un tourbillon au gré duquel on se laisse emporter, stimulé par l'écho que ses réflexions de lectrice vient créer dans notre esprit. L'expression "vivre avec les personnages" d'un livre vient soudain prendre corps dès lors que le lecteur devient acteur et contribue autant que l'auteur à les faire exister. Le voyage est intrigant, émouvant, drôle, stimulant. Qui n'a pas rêvé d'ailleurs au cours d'une réunion interminable ? Qui n'a pas cherché dans les bibliothèques des autres des indices sur leur personnalité ? Et ces personnages des lectures d'enfance qui remontent soudain à la surface ? Tous ces allers-retours entre les livres et les lecteurs offrent une atmosphère envoûtante en rassemblant en un même lieu personnages de papier et réels. Ce qui provoque parfois des carambolages incongrus comme lorsqu'il s'agit de compter le nombre de verres bus par Maigret en une journée, et ce que cela implique financièrement. Comble de la mise en abyme, le chapitre "Grand Voyageur plus" à lire absolument dans un train rien que pour le plaisir de savourer ce moment "Dans le train, je suis tout entière à ma lecture. Parfois je pense aux vaches dont on dit qu'elles regardent passer les trains. Je me dis qu'elles regardent aussi passer des lecteurs. Des tas de petits lecteurs qui filent à travers champs sans rien savoir du dehors. Les volumes des bibliothèques de la Pléiade sont reliés en cuir d'agneau de Nouvelle-Zélande. Y a-t-il des trains en Nouvelle-Zélande ? Les agneaux de la Pléiade, depuis leurs prairies sans barbelés, regardent-ils aussi passer des lecteurs qui, comme moi, liraient les notes à l'aide d'une grosse loupe...". Je connais des publicitaires qui se contenteraient d'une formule toute faite du style "bien plus qu'un livre", là où Clémentine Mélois nous donne à ressentir toute la puissance de l'empreinte des livres en chacun de nous. Plonger dans un texte et laisser son esprit s'en emparer au point qu'il devient pour toujours un compagnon. Oublier les bruits du monde et préférer ces abris de papier. "Je lis pour faire diversion. Détourner ma propre attention et essayer d'oublier un instant l'absurdité du monde". Quoi d'autre ?
"dehors, la tempête" - Clémentine Mélois - Points (Grasset/Le Courage) - 160 pages