In Absentia - Raphaël Jerusalmy
29 Mars 2022 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans
"Mais si tu n'écris plus, dans quel ailleurs iras-tu te réfugier ? Dans quelle absence ?" Celui qui se pose cette question est écrivain. Enfin il l'était avant d'être emprisonné au Struthof, seul camp de concentration nazi sur le territoire français. Pierre Delmain n'écrit plus mais il s'évade par la pensée, brode des histoires à partir de bribes où se mélangent fiction et réalité. C'est ainsi qu'il tient. Ainsi qu'il parvient à assumer la fonction qui lui est assignée : achever à mains nues les déportés agonisants, rendus inutiles aux expérimentations "scientifiques" des nazis. Il le fait avec empathie, le maximum d'humanité malgré le contexte qui vise à en supprimer chaque parcelle. De son côté, Saül Bernstein, collectionneur d'art sent l'étau se resserrer même s'il s'acharne à continuer à ignorer le danger. Les routes de ces deux hommes vont se croiser pour quelques heures, où l'horreur se dispute à l'absurde et qui resteront à jamais gravées dans l'esprit de celui qui retrouvera miraculeusement la liberté.
A partir d'un événement historique réel révélé en fin de volume et dont j'ignorais tout, Raphaël Jerusalmy nous offre une histoire terrible, poignante et pourtant lumineuse. A l'horreur il oppose la beauté et la force des Arts, qu'il s'agisse d'écriture, de peinture ou de musique. Aux velléités d'annihilation il oppose les parcelles d'humanité qui résistent et se glissent dans chaque interstice accessible. La précision de l'écriture donne une force saisissante à ce récit à la tension impeccablement maîtrisée. Il fait de ces deux hommes et de la force de l'esprit les derniers remparts face à l'abomination. Et de la littérature, le vecteur indispensable de la liberté et de la mémoire. A lire, parce que malheureusement nous n'en avons jamais fini avec l'horreur, mais heureusement les étincelles susceptibles de ranimer la flamme sont là. Et nous les connaissons.
"Si Bernstein, du fond de l'horreur, persiste à se référer aux canons de la beauté et de l'art, il n'y peut rien. C'est là l'échelle de valeurs dont il dispose et à laquelle, chez lui, tout se ramène. Tel un médecin qui ne peut s'empêcher de diagnostiquer. Ou un magistrat de passer jugement. Tant qu'il le peut encore."
"In Absentia" - Raphaël Jerusalmy - Actes Sud - 176 pages
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