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Dissipatio H.G. - Guido Morselli

20 Mai 2022 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Derrière ce titre intrigant s'offre une expérience étonnante et quelque peu déstabilisante. L'auteur de ce roman paru initialement en 1973 s'est suicidé après l'échec de ce texte ; cette nouvelle traduction permettra sans doute à d'autres que moi de le découvrir. Je parle volontiers d'expérience car sa lecture provoque des questionnements et oblige à s'impliquer en adoptant des points de vue qui peuvent bousculer les certitudes. C'est intelligent, visionnaire et habile dans la manipulation des concepts philosophiques même si j'avoue que je me suis parfois sentie ignorante face à certains. Ou perdue parmi des références qui m'étaient inconnues. Mais peu importe, l'effet est là, ce texte m'a intellectuellement remuée.

L'histoire est celle d'un homme plutôt solitaire, un brin misanthrope ou plutôt "phobanthrope"* comme il se qualifie lui-même car il a "peur de l'homme comme des rats et des moustiques, à cause des dégâts et des désagréments qu'il ne cesse de produire". Cet état l'a conduit à quitter la ville pour habiter un village de montagne avant d'opter finalement pour le suicide. Pourtant, le jour J dans la grotte où il avait prévu de passer à l'acte, il renonce. Lorsqu'il réapparait à l'air libre, il ne va pas tarder à découvrir qu'il est désormais seul au monde. Les autres humains ont disparu, se sont évaporés ou simplement dissipés dans l'air, laissant leurs effets et les autres espèces vivantes. Le voici donc débarrassé de ceux qu'il ne supportait plus, génial non ? Pas si simple tant nos pensées et nos actes sont formatées par nos rapports aux autres. Le silence, par exemple, celui que l'on appelle de ses vœux si souvent. "Finalement, ce qui fait le silence et son contraire, c'est la présence humaine, qu'on la désire ou non ; et son manque. Et dans cette fonction, rien ne les remplace." Comment appréhender la fin du monde lorsqu'on en est le seul témoin humain ? Où sont partis les autres ? Le phénomène est-il réversible ? Pourrait-on envisager de recréer des hommes mais meilleurs ? Des qui ne détruiraient pas leur environnement par exemple ? A qui destiner ses pensées s'il n'y a plus personne ? Et faut-il continuer à obéir à un certain ordre moral ? Au fil des pages le lecteur est entraîné dans une spirale qui titille délicieusement les méninges et interroge la définition même de l'existence.

Mais ce qui peut apparaître comme une fable trouve un écho remarquable avec notre époque et les enjeux pour l'espèce humaine. Il est de plus en plus désespérant de replonger dans la littérature des années 70 pour constater le nombre d'alertes qui ont été ignorées. C'est aussi ce qui fait la valeur de la littérature. Ici, l’ambiguïté est permanente, le lecteur est maintenu dans le doute, les neurones toujours en alerte. Terriblement stimulant.

"Dissipatio H.G." - Guido Morselli - Rivages - 174 pages (traduit de l'italien par Muriel Morelli)

*j'ai un doute sur cette expression mais c'est ainsi qu'elle figure dans le texte traduit et j'ignore quel est le mot du texte original.

 

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K
Ca a l'air tout à fait passionnant, les questions que ce texte suscite sont sûrement déstabilisantes, mais n'est-ce pas ce qu'on attend aussi de la littérature, qu'elle nous bouscule ?<br /> Bravo à la maison d'édition qui remet en avant un texte paru antérieurement et qui n'a pas fonctionné visiblement... Peut-être aujourd'hui est-on plus réceptif à ce type de questionnement ?
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N
Là il ne s'agit pas tant de bousculer que de faire réfléchir, disons que ça pourrait ressembler à une dizaine de cafés philo concentrés en 150 pages :-) / Le pauvre Guido Morselli n'a eu aucun succès de son vivant, c'est seulement après sa mort que les lecteurs italiens ont enfin rencontré ses œuvres. La première traduction française date des années 80 je crois, et ce texte entre tellement en phase avec nos interrogations actuelles que c'est une excellente initiative de la part de Rivages de le ressortir.