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Route One - Michel Moutot

13 Mai 2022 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

La Route One ou Pacific Coast Highway est de celles qui font rêver avant d'époustoufler ceux qui l'empruntent. Elle relie Los Angeles à San Francisco, souvent à flanc de falaise, serpente dans la roche et offre des points de vue sidérants à chaque sortie de virage ou presque. Sans parler des haltes pour admirer les colonies de phoques allongés dans les criques sauvages. J'en garde des images inoubliables. C'est l'histoire de la construction de cette route qui sert de cadre au nouveau roman de Michel Moutot déterminé à nous raconter livre après livre l'épopée des bâtisseurs qui trouvent dans l'immensité des Etats-Unis des défis peu communs.

Nous sommes dans les années 1930, profondément impactées par l'effondrement de 1929 qui a jeté une grande partie de la population dans la misère. Les grands travaux sont alors pourvoyeurs d'emplois souvent difficiles mais vitaux. Dans ce contexte, l'auteur fait se croiser les trajectoires d'individus aux intérêts très divergents et qui illustrent à leur manière les forces en présence. Il y a tout d'abord Wilbur Tremblay, l'ingénieur en charge des travaux dont la vocation de "construire des routes et des ponts" est née à l'âge de huit ans et a pu se réaliser en partie grâce à son adoption par un couple qui l'a sorti de l'orphelinat. Sa première expérience sur le barrage de Boulder près de Las Vegas lui a vite montré l'envers du rêve. Il y a ensuite Hyrum Rock, propriétaire d'un ranch fondé par son grand-père au milieu du 19ème siècle au-dessus de Big Sur, endroit choisi pour son éloignement du monde, parfait pour abriter un mode de vie mormon pas toujours bien vu des autorités fédérales. L'un veut faire avancer la route, l'autre tient à sa tranquillité. Forcément, ça risque de faire des étincelles. Ajoutons l'économie souterraine tenue par les mafieux, la dangerosité des travaux, la fièvre de l'or et le côté wild dont certains peinent à se départir : cette dernière portion entre Monterey et San Luis Obispo sera synonyme de sang et de larmes en plus de sueur.

Tout ceci est très bien documenté, qu'il s'agisse des défis techniques ou des organisations. Par-delà l'admiration pour les prouesses techniques (le Golden Gate bridge est en cours d'édification dans la baie de San Francisco...), cela donne à réfléchir sur les forces de destruction mises en œuvre par l'homme pour s'approprier des territoires et assurer le développement de son confort et de son économie. Comme à Boulder/Las Vegas. Mon bémol est pour la trame romanesque et la forme. Je n'ai pas retrouvé le souffle de L'America qui m'avait vraiment captivée. J'ai eu l'impression que les personnages étaient beaucoup moins incarnés, leurs caractères peu précisés (surtout les rares figures féminines) ce qui a eu pour effet de me maintenir en surface. Le principe de faire des crochets par leurs pensées en direct m'est apparu comme artificiel alors que ça fonctionnait dans son précédent roman ; je pense que c'est directement lié au manque de profondeur des personnages. On ressent l'admiration et la passion de l'auteur pour les performances techniques qui, elles, bénéficient de très longues descriptions, tout comme les paysages exceptionnels. Mais cela se fait au détriment des petites histoires qui permettent en principe de sublimer le tissage de la trame romanesque et de lui donner de l'ampleur. C'est dommage.

Reste le récit d'une aventure technique et humaine exceptionnelle dont j'aurais aimé beaucoup mieux ressentir le volet humain.

"Route One" - Michel Moutot - Seuil - 316 pages

Et bien sûr, pas de nouveau roman de l'auteur sans le regard de Delphine.

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D
Sequoia était très romanesque également ; quant à Ciel d'acier, que j'adore, il était à la fois romanesque, formidablement documenté et parfaitement rythmé (il reste d'ailleurs mon préféré, mais c'est souvent le cas du premier livre que j'ai lu d'un auteur que j'apprécie particulièrement). Pour ma part, malgré les qualités que je reconnais aux auteurs que tu cites, j'ai un faible pour Michel Moutot qui me procure toujours un intense plaisir de lecture. Et malgré le parallèle que tu établis, je crois que les romans de Moutot et ceux de Manoukian et Llobet sont de nature différente : ils sont purement romanesques. Je veux dire que même s'ils s'appuient sur le réel - et pas le plus tendre -, ils n'ont pas pour ambition de retracer un épisode historique précis et d'en retracer tous les contours. Ils s'inscrivent dans un pur espace fictionnel... ce qui laisse plus de place au romanesque, forcément. L'exercice n'est pas forcément plus facile, ce n'est pas mieux ni moins bien et je n'émets donc là aucun jugement de valeur. Simplement la démarche ne me semble pas être la même, ils sont de nature différente.
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N
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi sur cette analyse, mais j'ai cependant tort de ne prendre pour exemple que des écrivains journalistes car ce que je pointe concerne un panel plus large d'auteurs, c'est le tissage de la trame romanesque à partir des différents ingrédients, réels et/ou fictionnels - contexte, personnages, intrigue, etc. Mais le lecteur a sa place dans tout ça, ses goûts en tout cas ; pour ma part je préfère lorsque le travail fictionnel parvient à sublimer le propos ce qui ne m'est pas apparu ici, sans nier la qualité du boulot.
D
Je suis particulièrement sensible à tout l'aspect à la fois technique et social que je trouve toujours extrêmement bien traduits de manière romanesque par l'auteur - ce que j'avais d'ailleurs adoré dans Ciel d'acier. Ce roman-ci s'attarde peut-être moins sur les personnages - et d'ailleurs il est un peu plus court que les autres. Peut-être l'auteur aurait-il pu insister davantage sur eux ? Personnellement, si ce n'est que j'aurais volontiers passé un peu plus de temps avec eux - on quitte toujours trop tôt les romans qu'on apprécie - cela ne m'a pas du tout gênée et j'ai beaucoup apprécié ce nouveau roman.
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N
Ce n'est pas si facile de tricoter un roman, et il me semble avoir entendu Michel Moutot déjà évoquer le fait qu'il était conscient de ses limites sur l'ampleur romanesque qu'il parvenait à donner. Apparemment L'America était une belle exception... Tu vois, par rapport à un Pascal Manoukian ou une Anais Llobet qui viennent aussi du journalisme, on sent la différence. Par contre, on ne perd pas son temps, la matière étant toujours très intéressante et instructive.
K
Jamais lu l'auteur, pourtant j'ai envie, surtout pour le côté documentaire je pense.
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N
Tout le monde recommande de lire son premier roman, Ciel d'acier que tu devrais trouver facilement à la bibli, sur la construction des gratte-ciels de New York avec l'aide d'indiens qui n'avaient pas le vertige...