Splendeurs et misères des courtisanes - Honoré de Balzac
Pour apprécier Balzac à sa juste valeur il me semble qu'il faut avoir un peu vécu afin d'être à même de percevoir toute la saveur de l'écho de ses observations avec notre époque. Dans Honoré et moi, Titiou Lecoq mettait l'accent sur l'extrême modernité de l'auteur de la Comédie Humaine et ce n'est pas une tromperie. L'envie qu'elle a suscitée chez moi s'est transformée en régal de lecture, d'abord avec Illusions perdues dont le film avait provoqué mon passage à l'acte, et ensuite avec ce Splendeurs et misères des courtisanes qui reprend les aventures de Lucien de Rubempré là où nous l'avions laissé.
Le voici de retour à Paris, grâce au soutien financier et tactique de l'abbé Carlos Herrera derrière lequel se cache Vautrin, alias trompe-la-mort, alias Jacques Collin, bagnard évadé et spécialiste des transformations. L'homme a de grandes ambitions pour son poulain dont l'orgueil et l'envie d'être admiré trouvent ici à s'épanouir. Guidé par Herrera, Lucien travaille dur dans les salons et les antichambres : succès mondains, carrière, admiratrices protectrices, mariage lucratif en vue... la voie semble royale même s'il ne peut s'empêcher de tomber amoureux d'Esther, une ancienne courtisane. Une relation qui pourrait contrarier ses plans et que l'abbé va tout mettre en œuvre pour retourner en leur faveur grâce à ses talents hors norme de manipulateur sans scrupules pour lequel tout a un prix. Pourtant, l'étau se resserre. Polices et contre-polices sont sur ses traces, et à trop jouer avec le feu... Balzac devait certainement avoir envie de nous faire une conférence sur la Conciergerie, lieu qui semble l'impressionner au plus haut point et dans lequel il situe la deuxième moitié du roman qui est de loin la plus passionnante à mon sens. L'occasion d'explorer les mécanismes de la police et de la justice au sein d'un système assez complexe où - à l'instar du fameux Vidocq - on peut parfois changer de position. Balzac met deux mondes en parallèle, celui de la bonne société où les intrigues, réseaux d'influence et autres moyens de pression sont légion et celui du peuple d'en bas qui rivalise d'inventivité et de culot dans l'organisation de ses activités criminelles ; au point que le lecteur ne peut que constater que les uns n'ont rien à envier aux autres.
Si la première partie m'a parfois lassée par ses intrigues de salons ou la difficulté à suivre le terrible accent du banquier Nucingen, la seconde moitié m'a totalement captivée dans les pas du personnage de Vautrin/Jacques Collin, complètement taillé pour le genre du feuilleton, forme sous laquelle a d'abord été publié ce roman. Le récit est alors centré sur les intérêts des différents protagonistes et les moyens employés pour les faire avancer ; on y découvre sans surprise et avec une pointe d'ironie l'influence des femmes qui trouvent leur rôle sur l'échiquier. Et l'on en sort sans plus trop d'illusions quant à la marche du monde. "Les voilà donc, ces gens qui décident de nos destinées et de celles des peuples ! " constate Jacques Collin, mi-amer, mi-moqueur et un poil misogyne, "Un soupir poussé de travers par une femelle leur retourne l'esprit comme un gant". On avait déjà pu remarquer un bon nombre de piques adressées à la gent féminine tout au long du roman, ça se confirme donc même si leurs pendants masculins ne sont pas épargnés, en premier lieu pour être si facilement manipulables.
Une lecture qui m'a confortée dans l'idée de revenir de temps en temps vers Balzac et d'autres auteurs dits classiques, pour la saveur d'une plume habile à piquer autant qu'à divertir. Reste à choisir le prochain.
"Splendeurs et misères des courtisanes" - Balzac - Le Livre de Poche - 762 pages (avec le dossier, 700 pour le seul roman)