Une sortie honorable - Eric Vuillard
Je ne sais pas s'il est bien raisonnable de lire Eric Vuillard lorsque on a déjà beaucoup de doutes sur la nature de l'engagement des soi-disant "hommes d'état" ou autres députés censés représenter le peuple et défendre ses intérêts. Déjà dans L'Ordre du jour (Prix Goncourt 2017) l'auteur mettait en lumière le cynisme des politiques et l'influence grandissante des enjeux financiers dans leurs prises de décisions ; l'heure était pourtant grave, la seconde guerre mondiale pointait son nez et le coup d’œil dans le rétroviseur donnait envie de vomir. Mais ce n'était pas une exception. Les intérêts économiques, la défense des investissements des grands industriels, le pouvoir des banquiers étaient toujours à l’œuvre quelque temps plus tard, à chaque prise de décision concernant l'Indochine. Pour Vuillard, c'est du pain béni, il m'a semblé l'entendre jubiler derrière son clavier d'ordinateur. Incompétence des députés plus occupés à lire le menu de leur déjeuner pantagruélique qu'à remettre en question la politique coloniale de la France. Consanguinité et suffisance d'une classe dirigeante pas toujours consciente de n'être qu'un pion dans les mains des financiers. Les députés en prennent pour leur grade, ils sont la démonstration du principe de Peter, incompétents oui, mais avec emphase. Ils ne sont pas les seuls, l’état-major n'est pas ne reste. On en rigolerait si le résultat ne se chiffrait pas en millions de morts. Pendant que ces messieurs, après avoir refusé d'écouter les (rares) voix qui invitaient à négocier pour éviter pire s'avisent enfin de chercher une "sortie honorable" à l'enlisement, sur le terrain c'est la boucherie.
Pas de doute, Vuillard écrit bien et sa petite entreprise de révision des moments clés qui ont sans doute fait beaucoup de mal dans notre Histoire est instructive et bénéfique. Elle permet aussi d'éclairer notre actualité, de montrer à quel point les choses évoluent peu. Mais d'un point de vue littéraire, ce serait bien qu'il change un peu de recette. Autant L'Ordre du jour m'avait séduite dans ses multiples dimensions, autant j'ai trouvé ici - comme je le craignais - le principe narratif un peu redondant et souffrant d'un manque de relief, sans vouloir manquer de respect ni aux événements qui sont décrits ni aux victimes collatérales de l'indigence des décisions. Mais peut-être est-ce simplement lié au fait que l'Histoire ne cesse de bégayer ?
"On l'avait attendu l'affrontement, on l'avait crânement appelé, eh bien le voici ! Et comme d'habitude, c'est beaucoup moins drôle que dans les livres, beaucoup moins beau que sur les peintures, plus triste encore que dans les souvenirs".
"Une sortie honorable" - Eric Vuillard - Actes Sud - 204 pages