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Ton absence n'est que ténèbres - Jon Kalman Stefansson

21 Octobre 2022 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans, #Coups de coeur

"Certaines vies semblent si dénuées d'événements notables qu'il est difficile de les décrire. Tout autant que les poteaux d'une clôture. Et pourtant ce sont ces poteaux qui soutiennent tout."

Et dans ce livre ce sont d'infimes choses qui soutiennent le récit, font palpiter le ventre, trembler le cœur et chavirer l'esprit. C'est un puzzle gigantesque que construit l'auteur à l'aide de pièces minuscules qui dessinent plus d'un siècle du destin d'une famille islandaise. C'est la bonne image, il me semble. Aucune chronologie, aucun ordonnancement, le puzzle prend forme au gré des associations que l'esprit et la main effectuent à l'instinct. Entrer dans ce livre c'est accepter de se perdre au fond du fjord où tout a commencé au milieu des moutons, d'affronter les congères selon les moyens de chaque époque, suivre un guide qui ignore parfois où il va et surtout qui il est. Pourtant. Pourtant tout est là. L'essentiel. La vie, l'amour, la mort. C'est un immense poème qui se déploie à travers les âges, embrasse les vivants et les morts dans une même étreinte, explore la toute-puissance de la nature depuis les sous-sols abritant tombes et lombrics jusqu'aux vastes étendues glacées entre deux bourgades. Le résumer est impossible, il ne raconte pas une histoire il est toutes les histoires et toutes les dimensions de la vie. Il est la démonstration du pouvoir de l'écrivain démiurge, capable de réveiller les morts pour mieux célébrer les vivants. Les mots y sont rois, ceux des livres qui portent la connaissance et changent les destins, ceux des chansons qui consolent et relient même les plus désunis ou éloignés. Il y en a un parmi tous qui résonne et traverse les pages, marque de son empreinte le lecteur de plus en plus ému, c'est "amour" ; il arrive sans prévenir, déploie toute sa force tendre et sa douceur brute puis s'éclipse le temps de se faire oublier pour mieux revenir. Il unit pour un instant ou pour la vie. Comme la sève qui irrigue le vivant. L'auteur se joue de la temporalité, des distances et des mondes parallèles. Après avoir lu ce livre on ne verra plus jamais un cimetière de la même façon. Car c'est avant tout une célébration de la vie dans tous ses émois, ses douleurs, ses désirs, ses erreurs, ses trahisons et ses brefs instants de plénitude qui justifient tout le reste. C'est grandiose, virtuose, magique, éblouissant.

"Le bonheur n'a-t-il donc aucune endurance, pourquoi supporte-t-il si mal la vie, et encore moins la mort ?" 

"Ton absence n'est que ténèbres" - Jon Kalman Stefansson - Grasset - 606 pages (traduit de l'islandais par Eric Boury)

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C
J'ai tout lu de lui, sauf celui-là, mais je l'ai ; après cette magnifique critique, je vais m'empresser de me jeter dessus...<br /> Nicole, il faut absolument que tu lises sa trilogie ! Un jour il aura le Nobel de littérature, c'est sûr.
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N
Oh oui, je sais, j'ai noté ça dans un coin de ma tête, j'espère pouvoir le faire bientôt... Le Nobel pourquoi pas ? Il le mériterait certainement pour l'idée que je me fais de cette récompense. En tout cas c'est de la sacrée littérature et j'en redemande :-)
K
J'aime tellement cet auteur que bien sûr je lirai aussi celui-ci.
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N
Ce n'est que le deuxième que je lis de lui après Asta mais alors... c'est sublime. J'avais déjà été époustouflée par Asta, et voilà que ça dépasse encore niveau sensations, admiration et émotion. Que va-t-il écrire après ?!! (en fait le suivant vient d'arriver chez son traducteur d'après ce que j'ai vu passer sur les réseaux)