Eloge de la plage - Grégory Le Floch
Pour moi la plage est associée à l'enfance, aux vacances, au repos et bien sûr à la mer. Comme pour beaucoup. Plus rarement aux longues balades sur des étendues rendues désertes par l'hiver. Pour Grégory Le Floch c'est le seul lieu où il peut écrire sans déchirer la totalité de sa production. Inspirant au point de rechercher les plages lors de ses déplacements. Et de s'interroger sur les multiples représentations de ces lieux dans l'esprit de chacun et plus particulièrement des artistes et des écrivains. La promenade qu'il nous propose est teintée d'une nostalgie née des évolutions que nous connaissons et des menaces qui pèsent sur nos littoraux peu à peu rognés par la mer. Les écrits d'hier, descriptions émerveillées d'un Paul Morand (amoureux et grand collectionneur de plages qui avait perçu les transformations liées au tourisme de masse dès les prémices) ou d'un Marcel Proust semblent saisir un paysage qui bientôt n'existera plus. A travers eux, à travers les tableaux de Boudin l'histoire de ces lieux, l'usage que l'on en fait au fil des ans nous sont contés. Il a fallu du temps avant que l'on vienne pour s'y baigner, encore plus pour que l'on s'y dévête pour offrir son corps à la caresse du soleil.
"Les premiers à fréquenter les plages sont les fous et les névrosés. Cela peut paraître étrange mais je ne suis pas surpris. Les fous ouvrent vraiment la voie. Ce sont eux qui débusquent la beauté, traquent les visions, malaxent et triturent la vie au péril de la leur jusqu'à ce que nous y percevions, nous autres, une petite trace de lumière."
La plage aurait donc des vertus apaisantes et curatives, l'auteur pousse la réflexion jusqu'à faire le lien avec la légère inclinaison du terrain qui descend vers la mer et agirait sur l'esprit. Voila le secret de cette sensation de légèreté qui nous envahit après un moment passé à la plage, lieu propice à la rêverie mais aussi aux mirages... Le récit de Grégory Le Floch embrasse la séquence hippie des années 70 quand il existait un itinéraire des plages depuis l'Europe jusqu'à Katmandou ambiance guitare et feu de bois (entre autres). Pour certains le réveil fut brutal, mais c'est sans doute ce qui nous attend à notre tour. Car ces paradis sont menacés de tous les côtés. Érosion, montée des eaux, bétonisation, exploitation à outrance... Le sable est un ingrédient qui entre dans la composition du ciment, de l'asphalte, du verre et à ce titre il fait l'objet de trafics, de vols et de saccages qui ne se préoccupent pas de l'effacement du paysage idyllique. Quant aux guerres, aux fuites, aux pollutions, aux échouages...
"Que diront les générations futures du siècle prochain en regardant Arielle Dombasle courir sur le sable de Jullouville dans Pauline à la plage ? Que penseront-elles des tableaux d'Eugène Boudin et des portraits proustiens des jeunes filles en fleur ? Paysages de science-fiction ? Préhistoire ? Fake news ?"
L'écriture caressante et le regard épris de Grégory Le Floch font de ce récit riche et varié une parenthèse dont l'enchantement est peu à peu recouvert d'une ombre que l'on voudrait être certain de pouvoir chasser pour ne pas se priver de la lumière unique de ces lieux. Garder la perspective d'une virée à la plage comme un bonheur à venir plutôt qu'un souvenir cher mais désormais inaccessible.
"Il y a deux siècles les fous ont ouvert le bal des bains de mer, notre folie contemporaine y mettra bientôt fin." Je voudrais croire que non, et garder de cette exploration aux multiples dimensions l'éclat surnaturel d'un horizon infini.
"Éloge de la plage" - Grégory Le Floch - Rivages - 236 pages