Le Portrait de mariage - Maggie O'Farrell
Formidable. Formidable portrait d'une héroïne inoubliable, et formidable démonstration de ce que peut la littérature. Oubliées les petites notes discordantes qui m'avaient empêchée d'être totalement convaincue par Hamnet, là j'ai adhéré à 100%. Les forces de Maggie O'Farrell sont bien là : une écriture de toute beauté, des descriptions qui font vibrer tous les sens, une chair vivante, frémissante et un corps à corps vibrant avec la nature. Si la structure du roman n'est pas très éloignée de celle d'Hamnet - une alternance de chapitres entre le jour fatidique et ce qui a précédé - elle est ici parfaitement menée, jusqu'à l'enthousiasmante surprise finale.
Ces quelques mois dans la courte vie de Lucrèce de Médicis sont l'occasion de dessiner le destin sans alternative d'une jeune fille du 16ème siècle, jouet des décisions de ses parents dont le rôle est de maintenir la puissance et le faste de la famille. Lucrèce est l'enfant du milieu, la cinquième parmi huit, un peu sauvage, curieuse du monde qui l'entoure. Sa soif de liberté se heurte aux murs du palais de son père, Côme de Médicis qui lui ouvre néanmoins des portes en autorisant ses filles à suivre la même instruction que ses fils. Lucrèce a soif d'apprendre, mais son talent le plus éclatant s'affirme dans le dessin et la peinture. C'est ainsi que l'imagine, que l'invente Maggie O'Farrell, tous sens tournés vers les paysages qu'elle traverse, les animaux, les végétaux dont elle fait le sujet de petites miniatures peintes sur bois. C'est ainsi que son esprit s'évade. Lorsqu'elle se voit contrainte d'épouser le duc Alfonso à la place de sa sœur aînée morte subitement et de partir loin de Florence, elle a à peine quinze ans et découvre au fil des jours ce que l'on attend d'elle. Les quelques bribes de liberté entrevues vont vite disparaître et les grilles d'une nouvelle cage se refermer sur elle.
Maggie O'Farrell excelle à nous mettre dans l'esprit et le corps de Lucrèce et à construire des scènes de toute beauté. Le parallèle avec la tigresse capturée pour la ménagerie de Côme irrigue tout le récit. La magie s'exprime tout entière dans les échanges de regards entre Lucrèce et Jacopo, l'apprenti du maître chargé du Portrait de mariage. L'autrice joue de sa plume comme de pinceaux, saisissant les ombres, choisissant l'endroit précis où se posera la lumière. Elle parvient à rendre palpables l'enfermement ressenti par Lucrèce et la liberté que lui assure son esprit bien trop vaste par rapport à ce que l'on attend d'une femme à cette époque. Inscrivant ainsi ce destin dans une quête féminine universelle. Son final ramène à l'essence pure de l'écriture, à la joie de l'écrivain démiurge à l'idée de remettre l'histoire dans le bon sens.
Une réussite magistrale et un très gros plaisir de lecture.
"Le Portrait de mariage" - Maggie O'Farrell - Belfond - 412 pages (traduit de l'anglais (Irlande) par Sarah Tardy) - La version poche sera disponible chez 10/18 dès le 18 août.