Vider les lieux - Olivier Rolin
Olivier Rolin et moi avons en commun un déménagement contraint et émotionnellement compliqué, au moment de ce qu'il appelle le premier "grand enfermement", ces quelques semaines du printemps 2020 où le monde était à l'arrêt. Une bonne occasion de découvrir sa plume et de combler ainsi une lacune que je ne m'explique pas ; parce que si nous partageons ce contexte, il a des choses bien plus intéressantes que moi à raconter. Son appartement d'abord, situé rue de l'Odéon dont l'histoire se confond avec celle des lettres et de la littérature du 20ème siècle, la rue des librairies d'Adrienne Monnier et de Sylvia Beach. Vieil immeuble dont les murs bruissent des histoires de ses occupants, reflets d'époques successives peu à peu étouffées et recouvertes par les exigences de la modernité et du profit. Quitter ce cocon après 37 années invite inévitablement à se souvenir, sorte d'inventaire au rythme des rangements quand se dévoilent des couches de sédiments.
"En chaque objet sont enchâssés des lieux, des visages du temps passé."
Mais oui. Tous ceux qui ont été confrontés à un tel déménagement après de nombreuses années dans un même lieu ont vu défiler leurs souvenirs et renaître des émotions à chaque objet manipulé. Quand on a eu la vie d'Olivier Rolin ce passage en revue est d'une richesse inouïe qui vous fait sentir tout petit et même très inculte lorsque vient le moment d'évoquer la pièce maîtresse à savoir la bibliothèque. Chez lui, les souvenirs de lecture se confondent avec ceux des lieux de lecture d'ailleurs inscrits sur les pages de garde de ses livres. Savoureuses épopées ferroviaires - les seules permettant la lecture au long cours - dans les immensités asiatiques ou aux confins de la Russie ; parfois avec la complicité d'autres écrivains, comme son ami Jean Echenoz (un bon point pour lui) ou l'ombre des femmes qui ont traversé sa vie. L'exercice est mélancolique juste ce qu'il faut, profond dans sa façon d'interroger notre rapport aux lieux proches ou lointains sous l'égide des mots d'auteurs aimés (il y en a tant, de toutes nationalités que ma bibliothèque me semble tout à coup ridicule), émouvant dans ce qu'il tâche de retenir de l'effacement du temps. Et puisque son univers est indissociable de la littérature, un ultime clin d’œil avant le point final avec les mots qui valurent le prix Goncourt à son ami Echenoz.
Voilà qui animera ma prochaine balade du côté de la rue de l'Odéon.
"Vider les lieux" - Olivier Rolin - Folio (Gallimard) - 252 pages
Bien sûr les chroniques enthousiastes de Delphine ne sont pas pour rien dans mon envie de lire Olivier Rolin... alors un petit rappel de son billet sur Vider les lieux