4 3 2 1 - Paul Auster
Dans un documentaire tourné au moment de la parution de 4 3 2 1 en 2017, Paul Auster affirmait que son héros, Ferguson n'était pas lui mais que, bien évidemment, un écrivain puise toujours sa matière dans son vécu. Je ne suis pas suffisamment spécialiste de son œuvre mais j'ai tout de même perçu au fil de ces 1200 pages époustouflantes quelques références et clins d’œil qui viennent confirmer ce lien et offre au lecteur fidèle et aguerri un supplément d'âme ludique et connivent. Dans ce cheminement au long cours en compagnie de quatre versions d'un même personnage, c'est tout le mystère des hasards de la vie qui se déploie avec une virtuosité qui laisse pantois par sa capacité à superposer et mêler les couches du récit. Destins intimes sur fond d'Amérique des années 60 et 70, inscrits dans la continuité de l'histoire. Bluffant.
Inutile de tenter de raconter ce livre, il faut s'immerger et accepter de s'y perdre un peu au début, de revenir en arrière pour vérifier que oui, l'auteur avait bien écrit le contraire de ce qu'il affirme à présent. Tout ceci est normal, fait partie de l'expérience. Il y a quatre versions d'Archie Isaac Ferguson, qui vont évoluer en fonction des événements et circonstances propres à influer sur son environnement et son rapport aux autres. La composition magistrale de Paul Auster fait qu'il parvient à mener son projet à bien sans que jamais ne survienne une impression de répétition, chaque piste permettant de mettre l'accent sur l'un des apprentissages dont il est question dans ce roman. L'apprentissage social à travers les relations étudiantes, l'amitié, les liens communautaires, le sport. La sexualité avec de multiples routes empruntées par un Ferguson qui se cherche de différentes manières. L'éveil de la conscience politique dans une période furieusement compliquée aux États-Unis avec la guerre du Vietnam, les émeutes raciales et les soulèvements étudiants notamment à Columbia contre le conflit armé et la ségrégation. Et bien sûr l'apprentissage de la littérature, le chemin vers l'écriture qui là encore utilise les différentes versions de Ferguson pour en explorer les routes via la poésie, le journalisme et surtout la façon dont les lectures forgent l'homme puis l'écrivain. Un pur régal.
Inutile de dire que ce roman est immersif et absolument captivant. A la fois photographie d'une époque et questionnement sur le grand livre de la vie. Mais ce qui le distingue vraiment c'est ce jeu de mise en abyme presque permanent qui change fréquemment la distance entre le lecteur, l'écrivain et les personnages comme pour démontrer à quel point ce phénomène est universel et impliquer le lecteur dans la réflexion. C'est un livre que l'on a envie de relire tant il propose de facettes différentes et surtout parce qu'il est à lui seul la démonstration absolue de l'invention et du pouvoir de l'écriture. Époustouflant.
"4 3 2 1" - Paul Auster - Babel (Actes sud) - 1214 pages (traduit de l'anglais (EU) par Gérard Meudal)