Les derniers sur la liste - Grégory Cingal
Formidable roman où tout est vrai, où l'on croise des noms connus - Semprun, Kertesz,... - dont on connaissait le statut de rescapé d'un camp nazi mais dont on ignorait sans doute les détails de la capture, de la réalité des conditions de détention, de la peur quotidienne, et bien sûr de l'évasion. Le lieu d'abord : Buckenwald - Block 46. Il s'agit du centre expérimental sur le typhus dirigé par une sorte de parvenu, le capitaine Ding-Schuler qui tient à avoir un vaccin qui porte son nom. Et ne lésine donc pas sur les moyens, cobayes et autres expérimentations.
"L'histoire de la médecine nazie est l'histoire d'une aspiration par le bas. D'un avalement de la conscience dans les boyaux de la science. On commence par s'offusquer puis on ferme les yeux, après quoi on participe, et pour finir on redouble de zèle."
Dans la Division des fièvres il "emploie" des détenus triés sur le volet, chimistes, pharmaciens... dont un certain Eugen Kogon, scientifique juif viennois qui va profiter de son poste pour tromper (et de quelle manière !) sa hiérarchie, prenant des risques considérables. Au milieu de l'année 1944, 37 officiers du S.O.E capturés par le contre-espionnage allemand sont emprisonnés dans le camp au mépris du code de guerre, tous sont des héros de guerre, parmi lesquels Stéphane Hessel, et si certains vont périr assassinés, une poignée d'entre eux va réussir une évasion incroyable, mettant en œuvre une vaste chaîne de minuscules complicités à l'intérieur du camp, sous le nez des dirigeants nazis.
"La liste dactylographiée que l'officier SS tient à la main est scellée de deux initiales, R.U, tamponnées à l'encre verte : Rückkerer Unetwünscht (retour non souhaité). Depuis l'invention de la "solution finale" l'appareil nazi a acquis un sens très sûr de la litote."
Le récit de Grégory Cingal est sensationnel dans son rythme, son ton, la tension qu'il gère parfaitement et les détails qui viennent l'étayer. Sur la vie quotidienne. Sur les instants suspendus les jours des appels qui condamnent à mort les noms cités. Sur les organisations souterraines de résistance dans le camp. Sur l'espoir de libération après les débarquements, miné par la progression très lente des alliés. Sur le temps qui s'écoule lentement. Et bien sûr sur l'opération de sauvetage proprement hallucinante de certains des officiers. Miracles, retournements imprévus, danger permanent, imprévisibilité de ces moments où certains pensent surtout à se couvrir en prévision de la défaite... tout ceci contribue à l'atmosphère incroyable qui baigne ce récit. Hommage poignant d'après les témoignages, les récits, les archives, et une envie de raconter en détail ce que peu avaient envie d'entendre au retour des survivants.
La partie IX, la dernière, intitulée "Expiation" est particulièrement glaçante et émouvante dans ce qu'elle montre de l'impossibilité de guérir, de réparer ou juste de comprendre.
Tout est vrai dans ce roman remarquablement écrit et c'est bien le plus terrifiant.
"Les derniers sur la liste" - Grégory Cingal - Grasset - 320 pages