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Le Déluge - Stephen Markley

21 Octobre 2024 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans, #Coups de coeur

J'aimerais commencer par dire qu'il ne faut pas avoir peur de cette brique, beau bébé de 1040 pages bien tassées et 1,2 kg mais ce serait mentir et même faire injure à ce livre qui mérite chaque seconde qu'on lui consacre. L'ouvrir c'est accepter de se lancer dans une expérience unique, intense et parfois même éprouvante dans l'écho qu'elle peut susciter. Mais c'est aussi découvrir un travail de romancier exceptionnel, de ceux qui marquent à jamais.

Le Déluge est avant tout un formidable roman choral dont l'ampleur et les saveurs se révèlent doucement avant d'exploser en bouche. C'est le roman de la complexité, l'anti "yakafokon". Il mêle les prismes environnementaux, politiques, sociétaux, financiers et intègre une vision mondiale bien au-delà du territoire américain dont il ausculte les sursauts. Il s'appuie sur une galerie de personnages solides, complexes, travaillés, incarnés qui permettent de balayer un large spectre de convictions et de sentiments et dont on découvre peu à peu ce qui les relie. Le premier à entrer en scène est un scientifique, un parmi ceux qui alertent depuis des années sur les conséquences des dérèglements climatiques, jeu de domino qui ne s'arrêtera pas sans mesures drastiques. Mais Tony Pietrus comme ses prédécesseurs (Le Déluge pourrait être la suite de Cabane) n'est pas entendu. Nous sommes alors en 2013 et le roman, à travers les interactions entre ses personnages - un spécialiste de l'analyse prédictive, une militante d'un groupe secret écoterroriste, une publicitaire, un junkie, une militante écologiste non violente, entre autres - va nous mener jusqu'après 2040. Il y aura des affrontements, des phénomènes climatiques de plus en plus violents avec des conséquences que le roman permet de mesurer à hauteur d'hommes ou à travers les rapports analytiques d'Ashir, il y aura des bagarres d'idées ou d'idéaux, des drames et des catastrophes, le cynisme des tenants du capitalisme et de la préservation des intérêts des grands groupes, des constats d'une impuissance politique chronique mais aussi quelques individus qui ne veulent pas renoncer à croire au changement salutaire.

Il y a dans ce roman des scènes époustouflantes et une densité de propos sidérante. Il ne manque rien au tableau qui questionne les moyens à employer face au déni et aux extrêmes en tous genres (il y a des personnages gratinés sur ce point) sans renier la démocratie. L'auteur intègre dans la narration les évolutions technologiques (réalité virtuelle, IA...) et leurs applications (notamment en termes de sécurité) tout en mettant en évidence que les options pour leur utilisation restent des choix, qu'il n'y a pas de fatalité. Et il pose la question des histoires en montrant la course à qui aura le narratif le plus efficace, même si cela va à l'encontre des intérêts de l'humanité. Or les histoires, c'est le truc des romanciers, et celui-ci nous en donne pour notre argent. Le Déluge est avant tout un excellent roman qui se lit avec l'impression d'entendre le tic tac d'un compte à rebours dramatique. L'affolement du lecteur vient de la conscience progressive du temps irrémédiablement perdu par des affrontements sans cesse répétés, et ni le rire ni la vitalité de Kate Morris, superbe figure centrale du roman ne parviennent à le chasser. Je l'ai terminé au moment où l'ouragan Milton ravageait la Floride et où la tempête Kirk noyait quelques villages de l'hexagone ; l'effet n'en fut que plus dévastateur.

Une réussite magistrale, à lire absolument.

"Le Déluge" - Stephen Markley - Albin Michel/Terres d'Amérique - 1040 pages (traduit de l'américain par Charles Recoursé)

 

 

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D
Bon, pas du tout le bon moment pour moi, mais je note ce titre qui semble extrêmement maîtrisé pour un moment ou ma disponibilité d'esprit sera plus grande.
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N
Effectivement il vaut mieux être en forme et avoir du temps, mais ça vaut l'investissement.