Une longue impatience - Gaëlle Josse
Chère Gaëlle,
Je me souviens des premières louanges qui sont arrivées à mes oreilles lorsque a paru votre premier roman, Les heures silencieuses. Un bouche-à-oreille de libraires, un livre délicat dont on murmurait le titre, comme un secret à protéger et à ne confier qu'à ceux capables de le recevoir. Je me souviens avoir alors découvert avec délices votre plume délicate, guidée par un regard sensible, une envie d'explorer et de dévoiler au plus juste les sentiments qui font de nous des humains. L'attente déjà. Un portrait de femme tout en pudeur, en recherche d'équilibre. La beauté du décor, le réconfort trouvé dans l'art. Depuis, j'ai tout lu de vous. Et j'attends chaque nouveau roman avec l'appétit d'un amateur de bon vin, prêt à caresser longuement sa bouteille des yeux avant d'en savourer le nectar, délicatement, déjà triste à l'idée d'arriver à la fin. Heureusement, un livre est éternel. Lorsqu'on arrive à la fin, on peut recommencer. Il n'y a que vous qui me donnez envie de relire un livre à quelques semaines d'intervalle, avec un plaisir renouvelé et même magnifié.
J'ai lu Une longue impatience deux fois et j'ai fini en larmes, deux fois.
Chère Gaëlle, je ne sais pas exactement ce que vous avez mis de vous dans ce roman où l'on retrouve bien sûr votre univers mais qui, par la grâce d'une écriture encore plus tenue que d'habitude semble être le résultat d'un désir porté depuis longtemps. Je n'oublierai pas Anne Quémeneur, veuve Le Floch. Je n'oublierai pas ce magnifique portrait d'une femme coupée en deux mais toujours digne, mère avant tout mais femme malgré tout, ne cédant jamais à la facilité de renier quelque partie de sa vie. Il passe à travers ce livre, tout le poids d'une époque, celle de l'immédiat après-guerre, des contraintes sociales augmentées par l'indiscrétion des regards dans un village où les discussions sont les principales occupations. Il passe à travers vos mots, l'odeur des embruns de la côte bretonne, les cris des mouettes et l'activité des pêcheurs, les couleurs changeantes au gré des caprices du ciel. Il passe au fil de vos pages, les sentiments contraires d'une femme qui a vécu deux vies, connu deux milieux sociaux et reste viscéralement attachée à son histoire d'origine tout en s'attachant à s'ancrer dans le présent. Anne Quémeneur attend le retour de son fils, Louis parti un soir sans rien dire. Guettant l'horizon telle ces femmes de marins du haut des rochers face à la mer. Imaginant jour après jour la joie des retrouvailles, le festin du premier repas pris ensemble. Tentant d'ordonner les sentiments qui s'emballent et de garder en elle l'unité des deux parties qui la constituent, constamment tiraillées.
"Parfois je me dis que le chemin qui me happe chaque jour est comme une ligne de vie, un fil sinueux sur lequel je marche et tente d'avancer, de toutes les forces qui me restent".
Chère Gaëlle, votre livre est tout simplement bouleversant. Vous parvenez à nous faire approcher au plus près de l'intimité des sentiments d'Anne Quémeneur. Une femme simple, un roseau plié par les bourrasques, malmené par les vents violents, une femme qui puise dans sa terre et dans l'amour niché au creux de son ventre la force de vivre. Une femme qui vibre intensément à l'intérieur sans laisser aucune prise au regard des autres.
"Je m'invente des ancres pour rester amarrée à la vie, pour ne pas être emportée par le vent mauvais, je m'invente des poids pour tenir au sol et ne pas m'envoler, pour ne pas fondre, me dissoudre, me perdre. Toutes ces choses ténues, dérisoires, je m'y accroche pour repousser le prénom qui cogne à mes tempes, à mon cœur, à tout mon corps, pour tenir à distance ce halo d'ombre qu'il agite autour de moi."
Chère Gaëlle, je vous imagine fébrile, un peu inquiète d'avoir livré votre bébé à vos lecteurs, mais heureuse de ce partage. Je vous souhaite un beau parcours Anne et vous, de belles rencontres chargées en émotions à l'image de celles que véhicule ce livre et que chacun recevra et vivra selon sa propre histoire. Et puis, merci. Merci pour cette longue impatience.
"Une longue impatience" - Gaëlle Josse - Notabilia - 192 pages