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Une vie comme les autres - Hanya Yanagihara

4 Janvier 2018 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans, #Coups de coeur

Comment parler d'un livre qui vous a pris aux tripes pendant plus de 800 pages, vous a fait sangloter à de nombreux moments et vous a laissée finalement sans voix une fois la dernière page tournée ? Comment parler d'un roman dont la lecture fut parfois plus une épreuve qu'un plaisir, mais une épreuve dans le bon sens du terme, je ne parle pas d'un pensum mais d'une pente très ardue à gravir, d'un effort qui fait du bien parce qu'il nous invite à puiser dans ce que nous avons de meilleur en nous ? Oui cette lecture fut parfois physique tant j'ai eu l'impression que tout mon corps y prenait sa part. Et oui, elle laissera des traces.

Surtout ne pas se laisser impressionner par l'épaisseur et la densité de l'objet. Certes, au poids le lecteur en a pour son argent, au nombre de mots aussi. Mais surtout, il n'est pas près d'oublier la figure de Jude, héros central de cette saga qui suit sur près de quarante ans le destin de quatre amis new-yorkais qui se sont rencontrés au lycée ; Jude dont les mystères et les silences cachent des souffrances, des failles et une histoire terrible. Il y a Malcolm, l'architecte toujours en quête de reconnaissance, J.B. l'artiste-peintre talentueux mais n'hésitant pas à se nourrir de son entourage pour faire avancer son œuvre, le beau Willem devenu acteur à la notoriété certaine, et Jude que le handicap physique (il souffre le martyr et marche difficilement suite à un accident de la circulation survenu lorsqu'il avait quinze ans) n'empêche pas de devenir un redoutable avocat dans l'un des meilleurs cabinets d'affaires de Manhattan. Jude, persuadé qu'il ne mérite pas le bonheur.

S'il est question d'amitié entre ces quatre protagonistes, c'est autour de Jude que s'articule l'intrigue, Jude et ce passé qu'il s'applique à taire mais qui le hante, le contraint, le ronge. Un passé que le lecteur découvre peu à peu, au fur et à mesure que grandit sa relation avec Willem, l'ami indéfectible, et celle qu'il noue avec Harold, véritable père de substitution. Autour de Jude se tissent des liens d'amour fantastiques alors même que certains perçoivent sa détresse et sa fragilité sans avoir réellement idée de l'horreur dans laquelle elle puise ses racines. Cet amour, pur et désintéressé est l'une des choses les plus magnifiques qui m'aient été données de lire ces dernières années ; c'est lui qui fait jaillir les larmes, éclater les sanglots, penser qu'on aimerait tous tellement être aimés ainsi.

L'avantage de faire long, de s'attacher aux détails et aux moindres ressorts psychologiques des personnages c'est qu'on entraîne le lecteur au cœur même de l'intrigue. Il n'est plus lecteur, il est Jude. Il ressent, il souffre, il espère et il désespère. Il se demande comment il tiendrait, lui, s'il avait traversé les mêmes épreuves. A travers Jude s'affrontent la noirceur du monde dans ce qu'il a de pire et la beauté de l'amour dans ce qu'il a de plus merveilleux et de plus consolateur. Un combat de tous les instants, dont les répits sont désespérément trop courts.

Ce livre est d'une intensité dramatique rare, un pur "mélo" dans ce que le genre a de meilleur à offrir. Car il interroge notre façon d'appréhender la vie et ses souffrances inhérentes. Bouleversant et magnifique.

"Une vie comme les autres" - Hanya Yanagihara - Buchet-Chastel - 816 pages ("A little life" traduit de l'anglais par Emmanuelle Ertel)

 

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O
Presque deux ans après l'écriture de votre billet, je ne sais pas si vous trouverez mon commentaire, mais je tiens à vous dire que de tout ce que j'ai pu lire à propos d' "Une vie comme les autres", c'est votre analyse qui m'a paru la plus pertinente, toucher au plus juste des qualités de ce roman hors norme, et qui m'a le plus ému. Ayant achevé sa lecture ce matin, j'avais très envie et même besoin de "partager" mon ressenti et ma propre analyse en la confrontant à d'autres échos, et c'est grâce à votre billet que j'y suis le mieux parvenu, merci :-).<br /> <br /> J'ai envie de vous poser une question, si vous passez par là et avez envie d'y répondre : presque deux ans après, que vous reste t-il de votre lecture, de ce que vous en avez pensé, de ce que vous avez ressenti à l'époque ? Tout cela s'est-il largement estompé avec le temps, ou bien conservez-vous dans votre esprit ou votre coeur une place particulière et encore vivace à ce livre ?
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N
Merci beaucoup pour ce commentaire (qui m'est signalé par une notification, peu importe la date du billet :-) ). Comment oublier ce livre ? Comment oublier la figure de Jude, ses souffrances et surtout l'amour que lui portent ceux qui l'entourent. Ce livre fait partie de ceux que je cite lorsque l'on me demande quels sont les ouvrages qui m'ont émue ou bouleversée. Il m'en reste également une très forte envie de voir ce que va écrire son auteure après ça.
E
Merci pour ta réponse ! Oui, pour elle ce n'était pas crédible, car trop de drama nuit au roman - je ne suis pas particulièrement attiré par ce genre de livres et j'ai un programme très chargé mais je ne dirais jamais jamais ;-)
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L
Je suis totalement convaincue : je vais lire ce livre sans faute :-)
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N
Bonne lecture alors et je guetterai ton avis :-)
E
ton billet rejoint des milliers de billets à travers la planète, ce livre a fait la Une de tous les blogs et vlogs anglo-saxons pendant des mois. Je suis fidèle du vlog de Mercedes, une anglaise et elle a posé une bombe en expliquant pourquoi elle n'avait pas aimé ce roman (et elle a lu tout le livre). Et à l'époque, ses bémols ont fait que je n'ai pas eu envie de le lire (en anglais ou en français à présent) - tu le dis à la fin "un pur mélo" et elle n'a ressenti que les mauvais côtés de ce genre, le "too much" , une accumulation de malheurs.. Mais elle fait partie d'une minorité mais son avis me parlait, car ce sont chez moi de gros bémols et la couverture me fait aussi fuir, j'avoue... mais ton avis est très intéressant et je comprends mieux l'engouement autour de ce roman.
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N
C'est intéressant, et c'est étonnant qu'il n'y ait pas plus d'avis de ce type car c'est vraiment le risque avec ce livre, on est sur un fil et on peut facilement basculer du côté 'too much" ... Il y a des moments au cours de ma lecture où je me suis posé la question : mais pourquoi 800 pages, pourquoi insister autant sur l'horreur, etc. Et finalement je me suis dit que c'était la seule façon de nous faire éprouver les souffrances de Jude dans notre propre chair... Et dans ce sens c'est un phénomène vraiment intéressant. Merci en tout cas de cette contribution (et bonne lecture peut-être :-) ) !
E
J'ai commencé ce livre, j'ai lu environ 150 pages et je patine un peu...ta chronique me redonne par conséquent de l'allant pour continuer ma lecture!
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N
Ah c'est ce que je dis dans mon billet, ce n'est pas une lecture de tout repos, il y a des moments plus ardus... mais il faut avancer quitte à passer un peu vite sur des passages un peu trop denses ou répétitifs (et il y en a)... c'est comme en montagne, on est content quand on arrive au sommet et on ne pense plus aux moments difficiles :-)
D
Peut-être... Il fait en tout cas l'objet d'éloges considérables.
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N
C'est un spécimen comme on dit ;-)
A
J'ai eu une grosse hésitation l'autre jour à la librairie, mais j'ai décidé d'être raisonnable et de voir si'l arrive à la médiathèque. Après tout ce n'est pas comme si je n'avais rien à lire ! Mais un tel billet me rend impatiente !
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N
J'ai vu pas mal de gens hésiter en librairie... la bête fait un peu peur ce que je comprends tout à fait. Il faut avoir le bon créneau :-) et ce ne sont pas les projets de lecture qui te manquent en effet !
P
Bon, je suis déjà dans un gros pavé et j'ai l'impression de ne lire que ça en ce moment : des pavés! Ton billet est très tentant mais j'ai un peu peur du "too much"...<br /> (Que lis -je ? Tu as abandonné le Safran Foer ? Comment est-ce possible?)
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N
Oui ce n'est pas évident d'enchaîner des pavés ... Et je ne suis pas certaine que celui-ci passe bien après Paul Auster ;-) ... Tu peux toujours le garder en réserve pour tes prochaines longues vacances. (quant à Safran Foer je n'en avais encore jamais lu et peut-être que je n'aurais pas dû commencer par celui-ci... au bout de 200 pages je n'étais toujours pas dedans)
K
J'ai lu que ce livre avait eu un bel accueil aux États-Unis... je l'avais vu en anglais, mais rebuté par la longueur, j'ai préféré attendre la traduction. Ton avis donne en tout cas envie de se pencher sur son cas ! ;-)
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N
Oui ma meilleure amie qui vit aux Etats-Unis m'a dit que là-bas il y a eu un très gros accueil, on ,n'est pas très loin du phénomène. Un livre qui sort de l'ordinaire. J'ai vu un papier dans ELLE la semaine dernière qui m'a fait sourire car elle met en avant les "trop"... il y a "trop" de malheurs, de souffrances, d'introspection... trop de tout et pourtant, ça fait un effet dingue. Et ça donne cette expérience de lecture très physique, bouleversante, éprouvante.
Z
Une chronique superbe qui laisse entrevoir la densité de ce livre
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N
Merci ! Oui c'est dense en effet, une lecture vraiment physique :-)