Couleurs de l'incendie - Pierre Lemaitre

Donner une suite à Au revoir là-haut, formidable succès tant auprès des lecteurs que des jurés du Prix Goncourt était un peu risqué. Les exemples ne manquent pas d'écrivains ou de scénaristes qui ont voulu tirer les fils de la réussite jusqu'au bout et se sont cassé les dents. Seulement, Pierre Lemaitre a deux atouts qui lui permettent d'éviter les écueils. Ce n'est pas un débutant, en tant qu'auteur reconnu de polars il sait manier l'intrigue et relancer l'intérêt du lecteur et puis il a un maître, une référence entre tous, un prince du romanesque à qui il rend hommage à travers ce livre : Alexandre Dumas, le seul, l'unique.
Alors certes, ce deuxième volet n'a pas la flamboyance du premier, simplement parce qu'il lui manque le couple Albert Maillard / Edouard Péricourt qui faisait le sel d'Au revoir là-haut. Pas grave. On est tout de suite embarqué grâce à l'écriture alerte de Pierre Lemaitre et à son désir si évident de nous divertir avec élégance et le panache dû à sa référence. D'ailleurs, la première scène, lors des obsèques de Marcel Péricourt constitue une parfaite entrée en matière, à la fois spectaculaire, didactique et terriblement efficace. On est ferré et, 530 pages plus tard, on est bien content de savoir qu'il y aura un troisième (et dernier) volume.
Bien sûr, en suivant le parcours de Madeleine Péricourt, la traitrise dont elle est victime puis la vengeance qu'elle mène patiemment et intelligemment, on ne peut s'empêcher de penser à Edmond Dantès. Saluons donc ce parti pris féministe de l'auteur qui nous livre ici une belle figure de femme, déjà bien décidée à conserver sa liberté du vivant de son père puis résolue à la retrouver coûte que coûte une fois à terre. Un Monte-Cristo en jupons. Nous sommes en 1927 et les femmes sont loin d'avoir acquis tous leurs droits. Madeleine peut néanmoins compter sur un ancien camarade de son ex-mari (on se souvient de l'odieux Henry d'Aulnay-Pradelle) ainsi que sur son fils, Paul qui, malgré sa faible constitution et son handicap n'en développe pas moins un certain savoir-faire stratégique (bon sang ne saurait mentir).
Mais si l'on prend plaisir à suivre les aventures de tout ce petit monde c'est aussi parce que la toile de fond de l'époque est idéale pour bâtir une intrigue trépidante. Contexte politique et financier très prolixe dont l'auteur décortique finement les rouages et auquel il mêle habilement un zeste de collusion avec la presse. Tout ceci sur un ton qui crée la connivence avec le lecteur grâce à quelques saillies bien senties... "Ce jeune homme disposait, selon le credo de Jules Guilloteaux, des deux qualités indispensables au métier de journaliste : être capable de discourir sur un sujet auquel on ne connaît rien et décrire un événement auquel on n'a pas assisté". Les intéressés apprécieront, le lecteur lui, en redemande. Sans oublier ce qui semble être un fil rouge de la saga, ce goût pour les affaires et l'entreprenariat, cette créativité dans la façon d'inventer des moyens de gagner de l'argent dont on avait déjà eu un échantillon assez jouissif lors du précédent volet et que l'on retrouve, quelques années plus tard, enrichi des progrès technologiques et industriels du moment.
Bref, ce fut un plaisir de bout en bout de retrouver la plume de Pierre Lemaitre ainsi que l'univers des Péricourt. Compte-tenu des perspectives entrevues à la fin du livre, je ne me fais pas trop de souci sur la suite et je fais confiance à l'auteur pour nous tricoter un troisième épisode palpitant. A suivre donc !
"Couleurs de l'incendie" - Pierre Lemaitre - Albin Michel - 536 pages