Asta - Jon Kalman Stefansson

C'est bien de terminer l'année sur un coup de cœur. Encore mieux, par un roman dont j'attendais beaucoup et qui a fait plus que combler mes attentes. Je l'avais choisi depuis longtemps pour cette période particulière entre Noël et le Jour de l'an, ces quelques jours propices à l'introspection, aux bilans, aux envies aussi. Entre regrets, mélancolie et ces étincelles de vie qui jaillissent devant la nouvelle page à écrire. Ce moment où l'on a envie d'enrober ses chagrins d'un voile de joie, pour qu'ils nous accompagnent sans nous plomber, parce qu'ils font partie de nous et que peut-être, parce qu'ils sont là, ils nous permettront d'être encore plus heureux.
Asta, c'est tout ça. Un grand roman sur la fragilité de l'être, la force des liens, la beauté du désespoir, l'immensité d'un monde dans lequel chaque individu cherche sa place et son droit à l'amour. Asta, c'est le chaos. Chaos d'un esprit dont la mémoire fouille dans les instants qui ont compté, marqué, ébloui ou détruit. Chaos de personnages qui imposent leurs mots à la plume de l'écrivain. Chaos d'une narration sans chronologie, dans laquelle on se perd avant de mieux se retrouver. Chaos de la vie.
"Avons-nous un autre but dans la vie que celui de naître, de tousser une ou deux fois, puis de mourir ?"
Sigvaldi est tombé d'une échelle et sa mémoire le ballote sans crier gare dans les méandres de ses souvenirs ; Asta, dont le prénom signifie, à une lettre près "amour", Asta, la fille de Sigvaldi écrit à son amant parti depuis six mois, le manque de lui. Dans chaque vie, au cours de multiples décennies s'écrivent les moments gravés par la force des sentiments. Sur cette terre islandaise dont la nature volcanique déteint sur ses occupants. Cette terre qui produit un nombre considérable d'écrivains comme pour tenter d'enfermer, par les mots couchés sur le papier, ces sentiments qui s'échappent au détour d'un malentendu.
"Jamais je n'aurais imaginé qu'un canapé puisse pleurer. Où que tu sois sache que je t'aime. Je t'ai aimé toutes les années que nous avons passées ensemble. Je sais qu'il t'est arrivé d'en douter, à moi aussi, peut-être, mais c'est uniquement parce que je suis stupide. Est-ce pour ça que tu es parti ? Mon gros ourson, qu'est-ce que l'amour - et comment l'évaluer autrement que par la douleur de l'absence ?"
Asta est une magnifique histoire d'amour, déstructurée, chaotique, douloureuse. Aucune tiédeur, ni dans les sentiments, ni dans les comportements. Un souffle volcanique, celui de l'origine de la vie, qui fait vibrer les corps et les âmes. L'écriture de Stefansson (et de son fantastique traducteur) est magnétique, poétique, hypnotique, ancrée dans l'atmosphère que l'on imagine de l'Islande. Il faut accepter de s'y perdre, de lâcher prise, de s'éloigner de ses repères, un peu comme lorsqu'on vous fait tourner sur vous-même avec un bandeau sur les yeux. Laisser la magie opérer. Celle des mots d'un très grand écrivain.
"Comment survivent ceux qui jamais ne peuvent parler de leur amour ? Et comment s'y prend-on pour consoler les morts ?"
"Asta" - Jon Kalman Stefansson - Grasset - 492 pages (traduit de l'islandais par Eric Boury)