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Avant la longue flamme rouge - Guillaume Sire

10 Janvier 2020 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Un livre pareil, on le sent très vite, ne peut pas avoir été écrit tout à fait normalement. Il a été porté, nourri. Sans doute évité longtemps, comme un obstacle que l'on ne se sent pas capable de franchir. Ou pas autorisé. Il a été écarté au profit d'autres ouvrages, très différents mais aux thèmes plus proches de leur auteur. De très bons romans, au demeurant en tout cas pour les deux que j'ai lus, Où la lumière s'effondre et Réelle. Rien ne laisse deviner que derrière ces deux textes qui regardent la société du 21ème siècle, celle de l'image et de la communication, se construit peu à peu l'histoire qui hante Guillaume Sire depuis qu'il a croisé un homme, un regard, un destin. Une histoire au cœur de l'Histoire et de son cortège d'horreurs, comme seuls les hommes sont capables d'en inventer.

Ce destin, c'est celui de Saravouth, jeune garçon âgé de onze ans lorsqu'en 1971, la guerre civile éclate au Cambodge, après le départ du prince Sihanouk, mettant le pays à feu et à sang avec notamment la montée en puissance des Khmers rouges. La famille de Saravouth fait partie de la classe moyenne de Phnom Penh : Vichéa Inn est cadre à l'institut d'Agriculture, sa femme Phusati enseigne la littérature au lycée français et ses livres nourrissent au quotidien l'imaginaire de Saravouth et de sa petite sœur Dara. Le garçon s'est bâti ce qu'il appelle "le Royaume intérieur", par la grâce de ses explorations de l'Odyssée, de Peter Pan et de toutes les histoires dont regorge la bibliothèque familiale. L'étau qui se resserre sur les populations du pays va faire voler en éclat d'abord la quiétude de la famille Inn dont l'image de réussite et de sérénité est propre à susciter les jalousies, puis leur existence même. En un claquement de doigts, Saravouth se retrouve isolé, laissé pour mort dans une forêt après une scène d'une violence indicible. Miraculeusement recueilli et soigné par une vieille femme, il n'aura plus qu'une obsession : regagner Phnom Penh et retrouver sa famille. Pourtant, à ce moment, la folie destructrice des hommes n'a pas encore donné sa pleine mesure et le lecteur, abasourdi, hébété, passant de l'écœurement à la colère, de la pitié au dégoût est embarqué dans cette épopée d'où émerge la puissance de la foi d'un gamin.

Guillaume Sire accomplit ainsi un miracle : celui de glisser son lecteur dans l'esprit de Saravouth où se mêlent imaginaire de l'enfance et atrocités du réel, où les héros du Royaume intérieur servent de guide, d'échappatoire ou de modèle. Permettent au jeune garçon de ne pas devenir fou face à l'apocalypse en marche, aux destructions aveugles, à l'incompréhension ou au refus de comprendre des grandes nations qui contemplent de loin le chaos. Certaines scènes sont à la limite du soutenable mais il faut relativiser nos haut-le-cœur hein, nous simples lecteurs, tandis que ces scènes ont été réellement vécues par d'autres êtres humains. Guillaume Sire ne néglige pas non plus la mise en relief historique mais préfère la développer à hauteur d'hommes, ce qui lui donne une force incomparable. Et puis ce qui émerge, malgré tout, c'est ce destin exceptionnel, cette figure lumineuse dont on découvre le parcours avec un intérêt et une fascination croissants, jusque dans les toutes dernières pages qui permettent de prendre la mesure du travail et de l'engagement de l'écrivain.

Impossible de ne pas être percuté par ce roman, véritable ode aux pouvoirs de l'esprit et de l'imaginaire comme derniers remparts face à d'autres cerveaux capables du pire. Au point de préférer, pourquoi pas, s'y réfugier définitivement.

"Avant la longue flamme rouge" - Guillaume Sire - Calmann Lévy - 334 pages

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C
Je suis justement en train de le lire. J'ai eu un peu de mal à rentrer dans l'histoire mais maintenant...j'aime beaucoup.
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N
Ah tant mieux. Une fois qu'on est embarqué, en principe on ne lâche plus Saravouth...
C
J'aime beaucoup ton billet qui montre à quel point tu as été bouleversée par ce roman où Guillaume Sire mêle rêve et réalité, horreur et enfance pour transformer en monde imaginaire les pires cauchemars... Je l'ai été également et je pense qu'effectivement, n'importe qui serait chamboulé par un tel livre (ma critique ici d'ailleurs : https://pamolico.wordpress.com/2020/01/11/avant-la-longue-flamme-rouge-guillaume-sire/ ;))
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N
Oui, il fait vraiment de cette histoire quelque chose de tout à fait spécial et émouvant. Je file lire ton billet.
S
Je ne connaissais pas l'auteur avant de voir passer ce livre plusieurs fois sur les réseaux ces derniers jours. Me voilà fort intriguée
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N
J'avais été attirée puis séduite par les thèmes de ses précédents romans (la société médiatique, internet, l'image...) et j'étais un peu inquiète à l'idée d'aborder celui-ci, très différent.... J'avais bien tort de m'inquiéter.
E
très beau billet !
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N
Mais merci ! Très beau livre... ;-)
F
Je l'avais repéré sans trop m'y attarder... ton avis me donne envie d'aller voir de plus près.
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N
Je suis ravie et j'espère qu'il saura t'intéresser et te plaire autant qu'à moi. Je suis Guillaume Sire depuis quelques années et il a réussi à me surprendre dans le bon sens du terme avec ce roman qui sort de son univers habituel mais animé d'une force toute spéciale.