Printemps - (une histoire, par moi-même)
La lumière lui fait du bien. Nina se tient sur le bord de la terrasse de sa chambre, les yeux fixés sur le paysage qui l'entoure. Un camaïeu de verts d'une riante simplicité, quelques touches de rose et l'horizon scintillant sans limite. C'est le début du printemps, le soleil flirte avec les brindilles, les rend translucides, souligne leur fragilité. Nina penche la tête en arrière, ferme les yeux, se laisse aller à la sensation de caresse sur sa peau. Elle a toujours aimé offrir son visage aux premiers rayons du soleil, sentir la douce chaleur irradier son épiderme, le gorger d'énergie. Comme une pile que l'on recharge. Pierre l'a souvent photographiée dans cette position et elle est à chaque fois soufflée par les instants d'abandon qu'il est parvenu à capturer.
Son regard sur elle lui faisait le même effet que le soleil.
Elle a cédé à la tentation de revoir cet endroit où ils sont déjà venus ensemble. L'envie a été plus forte que la crainte de côtoyer les fantômes. La chambre est vaste, claire, élégante. La décoration épurée. Elle s'y sent bien. Il fallait qu'elle quitte Paris, leur appartement, les vestiges de toute une vie. Leur vie. Il lui fallait mettre de la distance, rouler, s'échapper. Offrir à son regard d'autres murs que les leurs, d'autres horizons. Un semblant d'ailleurs, un éclat de possible, une promesse d'altérité. L'inconnu semblait encore inaccessible alors elle a pensé à cet endroit où ils ne sont venus qu'une seule fois, une halte enchantée sur la route d'un retour. Trop peu de souvenirs pour la rendre triste, juste assez pour la rassurer. Tout est là. Dans cette difficulté à s'arracher aux liens, aux lieux, à lui, à eux.
Cette lumière lui fait du bien. La beauté des paysages l'apaise, le vert tendre des jeunes pousses l'émeut. Le chant des oiseaux lui suffit, elle a remisé son portable et ses écouteurs dans une poche de veste. Elle écoute les frémissements des feuilles sur les arbres, elle laisse le calme pénétrer son cœur, rythmer sa respiration, alléger son corps.
Son corps... Elle l'avait oublié. Gommé. Il n'était plus qu'accessoire, outil. Concentré, affûté, tendu. Prêt à soutenir, porter, relever, soigner, réconforter. Aider. Béquille dévouée à Pierre. Aimante et désespérée. Nina respire profondément. Le soleil se fait plus entreprenant, elle sent la chaleur envahir ses joues, s'infiltrer, irriguer. Comme hier. Dans les ruelles pavées de ce village oublié qu'elle parcourait sans but. Elle a poussé la porte d'une minuscule échoppe, un salon de coiffure. Une impulsion. Elle ne saurait même plus le retrouver. Mais elle se souvient des mains sur son cuir chevelu. Des pressions de la pulpe des doigts. Douces et fermes. Des frissons qui ont glissé le long de sa colonne vertébrale. Des papillons qui ont colonisé ses entrailles. De son envie de rester là, ne plus bouger, laisser son corps renouer avec des sensations oubliées. Laisser ces mains la ramener à la vie. Elle se souvient des larmes au bord des yeux. De la soudaine conscience du vide, du manque, de l'effacement. De l'isolement. De l'absence de bras qui étreignent, bercent, consolent. Elle s'est enfin autorisée à être faible. Juste quelques instants. Le temps d'un battement de cils.
Une renaissance.
Depuis hier, ses sens sont en éveil. La lumière lui semble plus éclatante, sa peau frémit au moindre souffle d'air, ses papilles s'émeuvent à chaque gorgée.
Le printemps est là.
Nina aussi.
NG - mars 2021