L'allègement des vernis - Paul Saint Bris
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Parlez-moi d'Art et de Marketing dans une même phrase et vous avez toute mon attention. Faites-en un livre et je m'en lèche les babines de gourmandise à l'avance. Glissez-y une fine observation du temps qui passe et bouleverse les habitudes, une pointe de nostalgie donc mais pas trop, un brin d'humour exempt de toute méchanceté, emmenez-moi dans les coulisses du plus beau musée du monde, dévoilez-moi l'envers du décor et... c'est bon, vous m'avez conquise. Un premier roman dites-vous ? Et bien chapeau ! Rien à dire, c'est remarquable.
Enfin, on va tâcher d'en dire un peu plus tout de même. Présenter Aurélien peut-être ? La cinquantaine entretenue, un appartement cossu dans le 6ème arrondissement, et surtout un amour du beau qui l'a conduit au métier qu'il exerce avec passion. Aurélien est directeur du département des Peintures du Louvre, un écrin qui le préserve aussi de la laideur qui a peu à peu envahi le monde, en tout cas trouve-t-il. Il s'accommode d'un certain conservatisme que vient pourtant bousculer la nouvelle présidente du musée, Daphné aussi ambitieuse qu'énergique et surtout adepte de l'innovation marketing. Buzz, réseaux, coups médiatiques, pourquoi se priverait-on de moyens utiles pour augmenter le trafic et remplir les caisses du musée ? Aidée de cabinets conseil (toute ressemblance avec certain ayant fait la une de l'actu ces derniers mois n'est sans doute pas fortuite) elle explore toutes les pistes. Alors, lorsque au détour d'une présentation PowerPoint il est envisagé de faire restaurer la Joconde et de monter autour du chantier une opération de communication aux petits oignons, la dame jubile. Jusqu'à présent personne n'a osé, les risques sont grands mais peu importe. Aurélien, plus que réticent, est tout de même chargé de trouver le restaurateur qui voudra et pourra se charger du travail ce qui n'est pas une mince affaire au milieu de l'agitation et du bruit médiatique que suscite le projet. Pendant ce temps, Mona Lisa garde son fameux sourire...
A travers cette histoire rondement menée, l'auteur s'amuse à nous faire découvrir les enjeux d'un musée côté financier mais également logistique avec une kyrielle de personnages aussi utiles à l'intrigue que sympathiques à rencontrer, voire nimbés d'une poésie salvatrice. Il explore l'univers de la restauration de tableaux souvent méconnu puisque les interventions doivent s'effacer devant l’œuvre initiale, et il le fait avec une pédagogie qui se fond joliment dans la narration et vient nourrir le roman sans déborder. Mais surtout il met le lecteur face à l'importance de l'image qui a envahi nos vies, à celle de la vitesse qui chasse les images les unes après les autres et confine à l'absurde. Il interroge notre appréhension du beau, notre sensibilité à l'art et fait d'Aurélien une sorte de résistant malgré lui. L'ensemble est parfaitement équilibré, très bien observé et composé, s'appuyant sur une trame narrative pleine de surprises. Du très bon et beaucoup de plaisir de lecture.
"L'allègement des vernis" - Paul Saint Bris - Editions Philippe Rey - 350 pages
A lire également, le riche entretien accordé à Delphine par Paul Saint Bris.