Bon genre - Inès Benaroya
14 Mai 2019 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

"Et si elle lâchait le gouvernail ? Et si elle arrêtait de lutter, ne plus rien donner mais prendre, intercepter le réconfort quand il se présente, à portée de main la chaleur d'un corps anonyme, mettre en pièces ce qu'elle a mis tant d'ardeur à édifier, à quoi bon les privations, les renoncements, plus elle en fait, moins elle en a. Où va la vie quand on la laisse aller ?"
Ça fait longtemps qu'elle assure, Claude. Qu'elle carbure au boulot, gros poste, seule femme du comité de direction, bras droit de confiance, trajectoire ascendante, pas trop regardante sur les méthodes, il faut bien avancer. Qu'elle carbure à la maison, elle a même composé une deuxième famille, qu'elle soutient pendant que monsieur "startupise" et que grande fille regarde plus souvent du côté de ce qu'elle n'a pas... Alors que se passe-t-il soudain ? Ces envies incontrôlées. Sexuelles. Cette double vie débridée qui se met en place presque à son insu, comme un dédoublement de personnalité. Façon d'épuiser la rage qui l'envahit, d'éviter de la retourner contre ses proches ou même contre elle. Oui, elle assure, Claude. Comme un homme pourrait-on dire si les féministes n'étaient pas passés par là. Se pourrait-il qu'à force d'assurer, elle se soit complètement perdue ?
"Le matin, elle se réveille avec la haine chevillée au cœur. Combien coûtent la générosité des uns, l'altruisme des autres ? Elle est prise au piège entre les psychés comptables et la peur, surpuissante, maître absolu du jeu. Peur du regard de chien battu de son père ou de celui de Paul, insupportable monsieur Loyal, peur de dire je t'emmerde, je vous emmerde tous, et toi aussi ma fille, sacrilège ultime. La peur est l'énergie la plus dévastatrice de ce monde. Peur d'être seule, vieille, détestée".
C'est l'histoire d'une femme qui ne sait plus qui elle est, à force de jouer les rôles que la société attend d'elle. Et de trop bien les jouer. C'est une histoire moderne, trop moderne, une histoire d'asphyxie qui aboutit à une forme singulière de burn-out. Inès Benaroya mène la danse d'une écriture rythmée, à la fois directe et précise, cadencée, pleine de violence mais également d'indulgence pour son héroïne. Une écriture, un rythme qui m'ont rappelé Maria Pourchet. C'est aussi une histoire qui invite à lâcher prise, à se reconnecter avec soi-même, à se débarrasser des scories qui brouillent les perceptions et parfois même les valeurs. Surtout les valeurs. Celles qui font de vous un être humain, respectueux des autres.
J'ai beaucoup aimé péter un plomb avec Claude, tout quitter et laisser faire une impulsion, un bout de hasard, une rencontre, partir pour un road-trip improvisé et complètement improbable. Rencontrer Ricky la camionneuse-tatoueuse. Jouer sur les attributs masculin-féminin. Et au bout de la route, se rencontrer soi-même.
Bonne pioche ce Bon genre.
"Bon genre" - Inès Benaroya - Fayard - 256 pages
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