Tentative d'évasion - Miguel Angel Hernandez
Lorsque Delphine (La bibliothèque de Delphine-Olympe) m’a proposé de croiser nos expériences littéraires respectives récentes sur le thème de l’art contemporain, j’ai sauté sur l’occasion de comparer Tentative d’évasion, qui lui avait laissé une impression très forte quelques mois auparavant et Randall (Jonathan Gibbs) que je venais juste de chroniquer avec beaucoup de plaisir. Nous avons donc échangé nos exemplaires et inventé ce nouveau concept de lecture croisée. Passionnant !
Si tous les deux sont des premiers romans, je me doutais après la lecture du billet de Delphine que Tentative d’évasion et Randall abordaient le sujet avec des styles et des partis-pris très différents. La tonalité de Randall est résolument britannique avec la causticité inhérente à l’humour d’outre-manche. Tentative d’évasion est beaucoup plus violent. Néanmoins, les deux s’attachent à jouer avec le lecteur, voire à le perdre dans les méandres de l’art conceptuel. Il faut dire qu’ils sont tous les deux écrits par des critiques d’art qui connaissent leur sujet sur le bout des doigts ainsi que toutes les controverses qui accompagnent les excès des artistes.
Si Randall est un bijou de cynisme, Tentative d’évasion est un livre brillant. Provocant, violent et cru. Mais terriblement intelligent. Il m’a même permis de comprendre deux ou trois choses sur l’art conceptuel et notamment pourquoi les installations et autres œuvres contemporaines me semblent si éloignées de ma conception de l’art. Il nous pousse dans nos retranchements et nous force à interroger notre rapport à l’art. Jusqu’où peut-on aller au nom de l’art ? Une performance artistique peut-elle tout justifier ? L’art est-il de l’art ou voulons-nous juste croire que c’est de l’art ? Vous l’aurez compris, ça questionne sec, ça travaille sans relâche au niveau des petits neurones, tout ceci avec une fluidité et une clarté dans le discours qui rend l’ensemble parfaitement accessible aux néophytes comme moi.
Un petit mot sur l’histoire, sans trop la déflorer. Marcos, professeur et critique d’art se trouve face à une installation du célèbre Jacobo Montes, Tentative d’évasion, exposée à Paris au Centre Georges Pompidou. Des années plus tôt, Marcos alors étudiant a été l’assistant de Montes lorsqu’il a conçu cette œuvre. Aussitôt, les souvenirs resurgissent de cette époque où Marcos, entre fascination et répulsion a été entraîné au cœur même du processus de création de l’artiste à la réputation sulfureuse. Une expérience dont il n’est pas sorti indemne (et ce sera la même chose pour le lecteur).
Mais peut-on se fier aux apparences ? L’artiste ne joue-t-il pas avec la réalité ? Ne voyons-nous pas seulement ce que nous voulons voir ? Avec une maîtrise impressionnante, l’auteur prend son lecteur dans une sorte de toile d’araignée tissée avec des fils qui changent d’aspect à chaque fois que l’on pense s’être enfin fait un avis, ou avoir trouvé la bonne distance. Nous sommes bien dans le règne de l’illusion, et c’est aussi ce qui rapproche les deux livres.
Si « l’art est une forme d’expérience », si « l’artiste fait toujours semblant », si ce même artiste ne fait qu’empiler les métaphores alors pas de doute, ce Tentative d’évasion est une véritable œuvre d’art. Qui se lit en plus comme un thriller. Très fort !
N'hésitez pas à vous balader entre nos différents billets via les liens ci-dessous et surtout ne choisissez pas : lisez les deux livres !
Quant à la lecture croisée, Delphine, on recommence quand tu veux, maintenant que nous avons un point de rendez-vous qui n'a plus rien de virtuel.
"Tentative d'évasion" - Miguel Angel Hernandez - Seuil - 298 pages (traduit de l'espagnol par Brigitte Jensen)
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