Celui qui disait non - Adeline Baldacchino
"Cet homme capable de dire non à Hitler, si sereinement, comme si sa vie n'en dépendait pas, m'a instantanément fascinée. J'ai eu besoin de comprendre. Ce qu'il était mais encore pourquoi ce qu'il était m'importait tant. Besoin de le nommer. Besoin de le faire exister. Je l'ai très vite tutoyé."
L'homme qui fascine l'auteure c'est August Landmesser, un jeune ouvrier allemand qui, le 13 juin 1936 dans le port de Hambourg où Hitler vient baptiser un navire est le seul à ne pas faire le salut nazi, geste ou plutôt non geste immortalisé sur la photo prise par un journaliste. De ce point de départ naît d'abord une enquête, la compilation de dossiers, un empilement de faits... "Manque la chair". C'est là qu'intervient la romancière. C'est ce qu'elle nous offre au fil de ces pages haletantes, émouvantes, remuantes, poignantes. En redonnant vie à cet homme, à son histoire d'amour, aux enfants qui en furent le fruit. En retraçant, dans les méandres de l'absurdité des lois allemande de l'époque, le destin contrarié d'un couple et en tendant, quatre-vingts ans après, un miroir à ceux qui voudraient encore contrarier les vélléités de mixité. Elle ne se contente pas de raconter, elle insuffle la vie, fait vibrer le courage face aux sirènes de la bêtise et de la lâcheté. Elle donne surtout du sens à cet événement qui trouve encore un écho dans notre actualité, autant que dans son intimité à elle.
August Landmesser n'a rien d'un héros, jeune homme issu de la classe ouvrière, adhérent comme tout le monde au parti nazi parce qu'il fallait bien tenter d'avoir un peu d'espoir en quelque chose. Pas plus politique que ça. D'ailleurs ce n'est pas la politique qui fait basculer son destin, non, mais plutôt l'amour. Un coup de foudre. Elle s'appelle Irma. Irma Eckler. Et elle est juive. Ça, August s'en moque comme de sa première dent de lait. Sa peau, ses cheveux, ses yeux seuls l'intéressent et l'enflamment. Il n'a pas prévu, August que les lois de Nuremberg proclamées en 1935 les transformeraient en criminels aux yeux du régime ; qu'ils ne pourraient pas se marier et qu'il serait lui arrêté pour "souillure raciale", désormais incapable de veiller sur son Irma. Et devenu peut-être son pire ennemi. Il n'a pas prévu ce que leurs deux filles devront subir. Il n'a jamais imaginé, August en adhérant au parti nazi quelques années auparavant qu'il aurait dû devenir un assassin à l'image de ses nombreux camarades... Et que seul l'amour a fait bifurquer son histoire, pour le meilleur et pour le pire.
Il faut du souffle pour raconter l'irracontable et en faire un texte qui touche à l'universel. Un texte qui interroge sur le poids de l'amour face à la politique. Un texte qui interpelle ceux qui croient que l'on peut ignorer la politique, lui tourner le dos tout simplement. On ne sort pas indemne de ce roman court mais intense, de ce terrible chapitre 3 au cœur de la nuit de cristal, de ce voyage sans retour à Ravensbrück. L'auteur nous saisit aux tripes, nous tord le cœur, nous remplit aussi d'admiration pour cet homme qui disait non.
Une lecture d'une force incroyable. Puisse-t-elle inspirer ceux, nombreux je l'espère, qui s'y confronteront.
"Et j'avais vu Dachau, Bergen-Belsen et Buchenwald, vu Auschwitz et pleuré dans la lumière du crépuscule, quand j'essayais encore de comprendre comment il était encore permis d'écrire de la poésie, comment il fallait justement en écrire parce que prier, non, ce n'était plus possible - qui voulez-vous prier : celui qui ne répondit jamais quand on le suppliait dans les chambres à gaz ?"
"Celui qui disait non" - Adeline Baldacchino - Fayard - 130 pages
Sélection Hiver / Printemps 2018