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Nous, les passeurs - Marie Barraud

10 Février 2017 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans, #Coups de coeur

L'émotion n'est pas retombée. Une dizaine de jours après avoir refermé ce livre, en larmes, il a suffi que je le reprenne en mains, que je parcoure les premières phrases pour que l'émotion me serre à nouveau la gorge. Ils sont rares les livres qui s'impriment en vous avec autant de force. Il faut croire que celui-ci touche chez moi une zone très intime que j'ai bien identifiée mais dont je ne dirai rien ici. Mais c'est l'écriture, précise, tendre et attentive qui parvient à ce résultat.

Ce roman est à la fois un témoignage qui éclaire notre histoire encore trop récente, cette période de la seconde guerre mondiale dont nous pensions à tort avoir fait le tour des horreurs et une fantastique déclaration d'amour d'une fille à son père. Le cadeau d'une vie.

"J'ai voulu raconter l'histoire de mon grand-père et, par ricochet, celle de ses deux fils. J'ai voulu dire ce qui ne l'avait jamais été, en espérant aider les vivants et libérer les morts. J'ai pensé que je devais le faire pour apaiser mon père. Ces mots, c'est moi qu'ils ont libérée".

Ce grand-père dont personne ne parle est pourtant un héros. Médecin dans la région bordelaise, résistant dès les premières heures, Albert Barraud a été arrêté par les allemands en 1944 et déporté dans le nord de l'Allemagne. Il est mort en 1945 dans le bombardement par les alliés d'un paquebot dans lequel leurs geôliers avaient entassés les derniers survivants du camp. Quelle est donc la raison de ce silence ? Où chercher la source de la colère qui anime le père de Marie à l'évocation de ce père trop tôt disparu ? La jeune femme se lance alors dans un long et ardu travail d'investigation, entre archives et rares témoins encore vivants afin de partir à la rencontre de ce grand-père dont l'influence pèse comme une chape de plomb sur le monde des vivants.

Le voyage de Marie est dans la veine de celui que Severine Werba nous a relaté dans le très émouvant Appartenir en 2015. La quête essentielle, celle qui consiste à rassembler les morceaux d'une histoire familiale fracturée par le destin et la folie des hommes. Connaître et affronter le passé afin de pouvoir continuer à construire l'avenir. La plume délicate de Marie Barraud avance avec force, justesse et mesure. Mais ce qui irradie, tout au long de cette lecture, c'est l'amour. Sans cet amour, comment jouer correctement son rôle de passeur ?

Non, l'émotion n'est pas retombée, je pleure encore rien qu'en revivant ma lecture pour tenter d'en témoigner dans ce billet. C'est une belle émotion, croyez-moi, loin d'un quelconque sentimentalisme. C'est une émotion qui naît de l'expression de sentiments vrais. Un très beau cadeau, à son père et à ses lecteurs. Merci.

"Nous, les passeurs" - Marie Barraud - Robert Laffont - 190 pages

 

Sélectionné pour l'édition 2017 des 68 premières fois, Nous, les passeurs va désormais voyager auprès des 50 lecteurs engagés dans l'aventure.

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Z
Je te sens encore toute chamboulée, quelle belle chronique
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N
Merci. Je le suis en effet, pour un moment je pense.
P
C'est aussi avec beaucoup d'intérêt et de curiosité que je note ce livre. C'est vrai que les anciens racontaient peu la guerre - peut-être un peu plus la seconde, mais très peu la première. Je crois que pour ceux qui en revenaient (notamment de Verdun), c'était très difficile de raconter ce qui s'y est passé...
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N
Oui les silences ont creusé des puits auxquels s'abreuvent les romanciers... Ensuite, c'est l'écriture et la sensibilité de l'auteur qui font le reste et ici, c'est particulièrement réussi.
K
Et bien quelle émotion !
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N
En effet ! Emotion majuscule...
D
C'est rare d'être ému à ce point, en tout cas en ce qui me concerne. Après un tel billet, c'est sans doute l'un des livres de la sélection des 68 qui suscite le plus mon intérêt.
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N
C'est la même chose pour moi, cela m'arrive rarement à ce point. Donc c'est forcément marquant même si chaque lecteur ressent ensuite le livre de façon très personnelle. L'émotion, c'est ce que nous privilégions dans la sélection alors... :-)
M
Tant de silence entouré encore cette époque... J'ai voulu interroger mes grands-pères sur la guerre et la seule réponse qu'ils me donnaient était : on ne raconte pas la guerre à un enfant. Même mes parents n'en savaient rien. Alors, il est parfois difficile de se construire, et cette auteure a su mettre en mots ce qui lui manque. Très jolie critique pleine d'émotions. Merci !
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N
Oui, ces silences font effectivement le lit des romanciers (à condition qu'ils soient un peu doués et c'est le cas ici). La seconde guerre mondiale reste un thème central dans la production littéraire et on continue à découvrir des pans méconnus de volet historique. Le travail de Marie Barraud est vraiment remarquable, tout en justesse et en délicatesse.