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Susan Sontag - Béatrice Mousli

27 Janvier 2018 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Récits

Il est paradoxal de constater qu'à l'heure où nombre de romanciers s'emparent avec succès de figures littéraires, artistiques  ou historiques pour les transformer en héros de romans, la vraie biographie reste un genre relativement confidentiel. C'est ce qui se murmurait dans les allées du tout jeune Salon de la Biographie qui se tient depuis deux ans à Chaville en septembre ou octobre, belle occasion de croiser des auteurs capables d’œuvrer dans l'ombre pour mieux mettre en lumière les qualités de leur "sujet". J'avoue que de mon côté les lectures de biographies sont rares. Pourtant, je n'ai jamais regretté ces immersions dans d'autres vies qui m'ont ouvert les yeux sur des époques ou des univers plus riches les uns que les autres (Pierre Lazareff, Françoise Giroud, Gaston Gallimard, Marcel Bleustein-Blanchet...) en particulier dans des domaines en rapport avec mes centres d'intérêt personnels et professionnels.

Je n'ai jamais lu Susan Sontag. Et je n'aurais peut-être pas lu sa biographie si elle n'avait pas été écrite par mon amie Béatrice. Grâce à elle, rencontrée au lycée, j'ai dû être la seule élève de Terminale C à savoir qui était Valery Larbaud et, quelques années plus tard à avoir lu sa biographie, écrite par la même Béatrice mais c'est une autre histoire. Enfin... Disons qu'il y a des points communs entre Valery Larbaud et Susan Sontag, ils partagent ce goût de l'éclectisme, cette curiosité pour le monde qui les entoure et qui les oriente vers un rôle de passeur de cultures. Ensuite, les époques diffèrent, ainsi que les moyens d'expression mais il n'est pas très étonnant que la biographe ait pu ressentir la même admiration pour la figure de Sontag que celle qui l'avait poussée à faire de Larbaud un sujet d'étude sur plus d'une décennie.

Il a fallu sept ans à Béatrice pour arriver au bout de son projet et livrer ce qui est en soi un petit événement dans le monde littéraire : la première biographie de Susan Sontag réellement documentée à partir des archives que l'écrivaine avait elle-même vendues à U C L A et que Béatrice, basée à Los Angeles où elle enseigne la littérature a donc pu consulter à loisir. Sept ans pour tenter de retracer le plus fidèlement possible la richesse inouïe de la vie de cette figure majeure de la vie intellectuelle du 20ème siècle, née à New York en 1933 "quatorze jours avant l'accession au pouvoir d'Hitler" et morte en 2004 au moment où un tsunami sème la désolation le long de plusieurs côtes asiatiques. Tout en respectant un ordre chronologique et une construction classique, la biographe parvient à rendre la densité de la vie de Sontag, de ses engagements politiques, féministes, intellectuels et artistiques et surtout à montrer l'évolution du personnage, écrivain précoce, touche à tout ambitieuse, engagée, sans cesse en mouvement. Un personnage fort, aussi attachant que tête à claque, d'une intelligence qui n'évite pas l'arrogance mais dont on mesure au fil des pages l'incroyable contribution intellectuelle.

"Je suis attachée à l'idée d'inconfort. Vous avez des succès et des habitudes, mais vous n'avez aucune idée de ce qui se passe dans le reste du monde. C'est pourquoi je voyage tellement : pour me rappeler qu'il se passe beaucoup de choses partout."

En effet, Susan a la bougeotte et multiplie tout au long de sa vie les voyages, cherchant à comprendre le monde et à anticiper les enjeux ce qui lui permet également de jeter sur son propre pays un regard riche de sa propre intelligence critique et de sa connaissance de l'ailleurs. Ce qui détonne forcément vu des États-Unis où on lui reproche d'être trop europhile. A travers cette biographie qui ne se lit pas comme un roman mais avec un intérêt jamais démenti, on découvre une Susan Sontag amoureuse des livres au point de dévorer tout ce qui lui tombe sous la main et d'en habiller les murs des différents appartements qu'elle occupera ; c'est à travers eux qu'elle commencera à voyager avant de pouvoir le faire réellement, ce sont eux qui, bien loin de la satisfaire nourriront sa soif de connaissances et de découvertes. Éditrice à douze ans d'un journal qu'elle distribue dans son quartier, avant de découvrir au lycée puis à l'université un éventail de domaines à explorer. A partir de là, on ne l'arrête plus.

Je ne vais pas ici même réécrire la biographie de Sontag ni résumer sa vie qui tient quand même sur près de 600 pages. Je vais juste dire à quel point cet ouvrage est riche d'informations et d'enseignements sur ce que représente une vie dédiée aux idées, à la réflexion, au témoignage. Il met en avant l'importance du débat intellectuel (et on a ici quelques exemples de la violence des échanges !), quels que soient les sujets, artistiques, scientifiques, politiques, éthiques. Il rend hommage aux prises de position de cette femme qui n'a jamais hésité à mettre les pieds dans le plat via des prises de position affirmées et loin de faire l'unanimité ; mais il n'omet pas de pointer parfois ses contradictions en posant sur elle un regard certes bienveillant mais néanmoins critique. Il permet également de revisiter les grands moments de l'histoire du 20ème siècle à l'aune des grands débats intellectuels qu'ils ont suscité (Vietnam, Cuba, Sarajevo...). Et puis bien sûr, il entre dans l'intimité de Susan Sontag amoureuse complexe, épouse repentie et mère assez peu naturelle. Finalement, 600 pages pour tant de vies, celle de romancière, d'essayiste, de metteur en scène, de réalisatrice de cinéma, de critique littéraire et de critique d'art, de féministe, de militante, de lectrice, de philosophe... ça ressemble à un exploit de synthèse surtout quand on songe à la masse de documents, courriers, listes en tout genre, entretiens, brouillons ou livres que Susan Sontag a légué à la postérité.

Pourtant, ce qui ressort avant tout, c'est la passion de Susan Sontag pour l'écriture, son attachement à écrire et surtout à être perçue comme un écrivain. Tout est matière à écriture, y compris son expérience de la maladie. Et l'on se surprend à souhaiter que cette biographie donne envie à ceux qui ne la connaissent pas de découvrir l’œuvre littéraire de Sontag à travers les rééditions qui ne vont pas manquer d'accompagner ce document.

Honnêtement, je ne m'attendais pas à apprécier autant ma lecture. J'ai découvert un personnage certes, mais au-delà, une invitation à questionner sans cesse et encore plus face aux évolutions du 21ème siècle qui tendent à occulter les débats d'idées. C'est peut-être ça une bonne biographie : créer la connexion avec de nouveaux individus et passer le flambeau aux précurseurs de demain.

"Susan Sontag" - Béatrice Mousli - Flammarion / Grandes Biographies - 612 pages (dans la même collection, Béatrice est l'auteur des biographies de Valéry Larbaud, Max Jacob et Philippe Soupault)

 

J'ai profité de notre proximité pour poser quelques questions indiscrètes à Béatrice sur la façon dont elle envisage une biographie en tant qu'auteur et en tant que lectrice...

C'est quoi pour toi une bonne biographie et est-ce que ton point de vue là-dessus a évolué au fil de tes travaux ?

Question difficile… Une bonne biographie, c’est d’abord une biographie qui se lit avec plaisir. Une biographie n’est pas une somme de données, ou de documents, c’est une œuvre littéraire, et la lisibilité est très importante. Et cette préoccupation est maintenant partagée par de nombreux biographes. Il me semble que l’on fait beaucoup plus attention à l’écriture aujourd’hui qu’il y a trente ou quarante ans, une époque où de nombreuses biographies étaient encore des “pavés” extrêmement documentés mais indigestes.

Est-ce qu'il faut absolument que tu admires les personnes sur lesquelles tu écris ?

J’admire les quatre écrivains sur lesquels j’ai travaillé, et je pense qu’il serait difficile de passer tant de temps (on parle de 6 ans en moyenne) “avec” quelqu’un qu’on n’admire pas, dont on ne respecte pas l’œuvre. Et l’admiration ne m’empêche pas de les trouver plus ou moins sympathiques selon les périodes, selon les situations. L’absence de sympathie n’est pas un obstacle pour moi (et une fois encore il s’agit de “moments”), mais l’absence d’admiration le serait. J’ai eu la chance de toujours pouvoir choisir mes sujets, et donc de suivre mes curiosités, mon attirance pour une œuvre et un contexte.

Si on te demandait de citer une ou deux bios écrites par d'autres que tu as particulièrement apprécié... lesquelles et pourquoi ?

J’ai récemment lu ou relu les biographies écrites par Hermione Lee, écrivaine britannique, connue en France pour sa biographie de Virginia Woolf. Elle a écrit plusieurs autres biographies, dont deux remarquables, d’Edith Wharton et de Penelope Fitzgerald. Ce qui me plaît dans les travaux de Lee est qu’elle a une approche qui pourrait être qualifiée de traditionnelle, chronologique avec des “moments” thématiques - ce qui est aussi mon approche en général - mais elle réussit à introduire une note personnelle au cœur de son écriture. Elle est présente dans ses biographies, elle ne s’efface pas complètement derrière son sujet. Sans pour autant que l’on ait l’impression qu’elle est très présente.

La bio que tu rêves d'écrire mais que tu n'écriras pas ?

Récemment j’ai rêvé d’écrire une biographie de l’écrivaine britannique Angela Carter. Féministe, elle a une écriture romanesque très particulière, qui me fascine depuis longtemps. Son livre Wise Children (qui apparemment a été traduit sous le titre Bien malin qui connaît son père chez Bourgois), m’accompagne depuis vingt ans, je le relis régulièrement; toujours sous le charme de cette écriture extraordinaire. Malheureusement (et heureusement) une biographie est sortie au début de l’année dernière…

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Z
Tu as l'air d'avoir apprécié ta lecture. L'art de la biographie n'est pas aisé, il faut savoir captiver un lectorat non initié
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N
Disons que pour les biographes ce n'est pas évident de toucher un public plus large que les initiés justement, ceux qui font des recherches ou s'intéressent à un personnage en particulier. Je parle des biographies littéraires, hein... parce que pour le "people" c'est un autre marché :-)
M
Ton article, Nicole, est passionnant: moi non plus je ne lis pas de biographie et pourtant tout ce que tu en dis me donnerait très envie de m'y mettre.En tout cas, j'ai noté le titre de l'ouvrage! Merci!
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N
Oh merci ! Bien sûr pour être tentée par une biographie il faut avoir une appétence pour celui ou celle qui en est l'objet ou en tout cas son univers. J'ai beaucoup lu à une époque de bios qui portaient sur des grandes figures de la presse, domaine qui m'intéressait professionnellement et personnellement... Après, la plume de l'auteur apporte beaucoup au fait qu'on y prenne goût :-)