A rude épreuve (la saga des Cazalet II) - Elizabeth Jane Howard
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On a toujours un petit pincement au cœur en ouvrant une suite, surtout lorsqu'elle était attendue avec impatience. Un bref instant de crainte que le charme n'agisse plus. Vite balayé. Le temps de 3 pages de préface pour redonner les grandes lignes de l'épisode précédent, un coup d’œil au tableau généalogique de la famille Cazalet (auquel on revient de temps en temps, il faut l'admettre, tant ça foisonne) et hop ! c'est parti. Nous revoilà à Home Place, en septembre 1939, en pleine organisation de la maisonnée alors que débute le conflit qui mettra le monde à rude épreuve. Loin des champs de bataille, ce que va nous montrer la romancière c'est la vie quotidienne de cette famille bourgeoise entre leur propriété du sud de l'Angleterre et Londres où les hommes tentent de sauvegarder l'entreprise familiale.
L'excellente idée de ce deuxième tome est de choisir le prisme des enfants, ou plus exactement des adolescents en la personne des aînées de chaque fratrie. Tout d'abord Louise, la fille d'Edward et de Viola qui, à 17 ans, fait valoir son esprit d'indépendance et ne veut absolument pas renoncer à son rêve de théâtre quelles que soient les conditions dans lesquelles elle trouve à se former. Puis Clary, la fille de Rupert, qui se voit elle en future écrivain dont nous assistons aux essais (quelle imagination !) et à la progression à travers les cahiers qu'elle remplit. Enfin Polly, la fille de Hugh et Sybil, qui ne rêve que de sa future maison et accumule en attendant, les objets qu'elle y installera. Comment être adolescent dans ce contexte d'incertitude qui remet en question les options envisagées sur le ton de la légèreté quelques mois auparavant ? En plaçant le lecteur à leur niveau, l'auteure donne accès à des émotions très justes, vis à vis du ballet des adultes et de leur lot de problèmes qui ne s'arrêtent pas avec la guerre, mais également par la sensation très fine de la condition adolescente.
Tout le monde est mis à rude épreuve, comme l'indique le titre. Inutile de raconter ici les épreuves que chacun va vivre, c'est tout de même le plaisir du lecteur de s'immerger dans cet imbroglio familial qui convoque à peu près tous les maux classiques (adultère, mensonges, jalousies, désir d'émancipation...), mais avec un flegme et une élégance qui en font la singularité. J'aime particulièrement, comme avec le premier tome, les liens que l'auteure tisse entre ses personnages et ceux de la littérature. C'est Clary, confrontée à l'inquiétude, qui explique que "dans l'ensemble je préfère les livres aux gens en ce moment, et les gens dans les livres plutôt que n'importe où ailleurs", c'est Louise qui se félicite d'avoir lu Jane Austen car l'exemple de Lydia Bennett lui évite de se pâmer devant les uniformes... La littérature, ingrédient du parcours d'apprentissage de ces jeunes filles et parfois refuge également pour les adultes confrontés à la maladie, à l'hostilité ou à la mort. Comment ne pas adhérer ?
Je crois que j'ai trouvé ce deuxième opus encore meilleur que le précédent, peut-être parce que le fait de côtoyer cette famille de façon un peu plus intime nous les rend plus proches. La trame de fond est subtilement menée, qui permet de garder le contact avec les événements et l'avancée des hostilités, jusqu'à l'attaque de Pearl Harbor. Et je crois que je ne me lasserai jamais des descriptions de l'intendance (ça déménage sans cesse d'un bâtiment à l'autre) et des explorations culinaires nécessaires à nourrir cette grande famille... "Mrs Cripps avait fait deux kilos de pâte, plumé et vidé quatre faisans, confectionnés quatre gâteaux de riz et trois tartes au poisson pour le déjeuner du jour, préparé un grand hachis avec les restes de légumes pour le déjeuner des employés, découpé, fariné et fricassé cinq lapins pour les tourtes du dimanche, mitonné un litre de sauce à l'oignon et un litre de sauce à la mie de pain (...). Edie avait pelé sept kilos de pommes de terre, lavé plus de deux kilos de poireaux et deux kilos de choux de Bruxelles, épluché un kilo de carottes...". Noël chez les Cazalet, tout simplement.
Bref, un vrai plaisir de lecture, vivement mars et le prochain épisode intitulé "Confusion"... tout un programme !
"A rude épreuve" (La saga des Cazalet II) - Elizabeth Jane Howard - La table ronde - 572 pages (traduit de l'anglais par Cécile Arnaud)
Lire aussi : ma chronique de Etés anglais, le tome I