Propriétés privées - Lionel Shriver
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De Lionel Shriver je n'ai lu (il y a longtemps) que Double faute, un roman formidablement grinçant qui ausculte avec une féroce acuité la relation d'un couple de champions de tennis et que l'on peut désormais trouver réédité chez Pocket. Alors ce recueil de nouvelles m'a permis de renouer avec son étonnante lucidité dans l'étude de la psychologie humaine et de me souvenir qu'elle est décidément très à l'aise avec l'environnement sportif (qui est aussi le sujet de son dernier roman d'après ce que j'en ai entendu dire). Il y a ici une dizaine de nouvelles encadrées par 2 novellas d'une centaine de pages, l'ensemble permettant d'explorer de façon assez piquante l'étendue du spectre des pathologies induites par la possession de biens et d'objets divers. La propriété, élément moteur de nos sociétés n'a rien d'anodin et provoque même un certain nombre d'effets pervers dont nous n'avons pas toujours conscience. Lionel Shriver se régale à nous les révéler.
La plupart des personnages dépeints par l'auteure sont marqués par le sceau de la solitude, soit parce qu'ils ne sont pas "dans la norme", soit parce que les aléas de la vie sont passés par là. Est-ce pour cela qu'ils investissent dans les objets qui les entourent autre chose qu'un simple lien utilitaire ? Quoi qu'il en soit, les comportements révèlent, sous le regard attentif de Lionel Shriver un magma de failles affectives. Je ne vais pas détailler chacune des nouvelles, elles sont taillées avec beaucoup de savoir-faire et de talent autant dans la mise en scène que dans l'exploration des sentiments, aucune ne se ressemble et on peut les picorer tranquillement et indépendamment. Chacun reconnaitra certaines situations ou travers, se sentira particulièrement touché ou interrogé par l'une ou l'autre de ces histoires. Moi j'ai particulièrement apprécié la novella qui ouvre le recueil, Le Lustre en pied (titre impossible...), texte magistral qui justifie à lui seul de posséder ce livre : d'une irrésistible finesse dans l'analyse des relations entre les trois protagonistes de l'histoire, d'une férocité perverse lorsqu'il s'agit de décortiquer le déséquilibre induit par une troisième personne dans la vie bien réglée des deux premiers ; je suis passée par tous les états avec Jillian, c'est du grand art et la parabole du tennis est parfaite (essayez un peu de jouer à trois...).
Ça grince donc, délicieusement. Et cela nous renvoie à nos émotions et sentiments les plus profonds, pas toujours très reluisants ni faciles à décoder pour celles et ceux qui nous entourent. La possession est-elle synonyme de liberté ou d'aliénation ? Bonne question.
"Propriétés privées" - Lionel Shriver - Pocket (Belfond) - 504 pages (traduit de l'anglais par Laurence Richard)