Babysitter - Joyce Carol Oates
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Desperate housewife. C'est le qualificatif que l'on a immédiatement envie d'accoler à Hannah, spécimen magnifique de la femme au foyer américaine, banlieue chic de Detroit, mari dans les affaires dont madame ignore presque tout, deux enfants bien peignés et une nounou-gouvernante-femme de ménage philippine. Beaucoup d'ennui surtout pour cette femme qui semble n'exister que par rapport aux autres, au centre d'une comédie sociale où tout est façade. Nous sommes en 1977, Detroit est agité par d'horribles faits divers, des enfants et adolescents sont enlevés, odieusement torturés et tués par un pervers que la presse surnomme Babysitter. La peur rôde mais chez Hannah elle se mêle au désir violent qu'elle ressent pour un inconnu croisé lors d'un dîner caritatif et qui, d'un frôlement de doigt sur son poignet a réveillé des sensations qu'elle croyait disparues à jamais. Voilà pourquoi on la trouve, au tout début de ce roman dans le couloir de l'hôtel qui mène à la chambre du mystérieux Y.K. Banale histoire d'adultère ? Oh que non... La romancière s'en sert pour nous offrir un savant portrait d'une Amérique au bord de la crise de nerf, vue depuis les quartiers résidentiels d'une élite blanche qui se pense préservée et à l'abri de la criminalité qui règne un peu plus loin. Et l'immersion est violente.
Joyce Carol Oates parvient à installer une atmosphère étouffante et une tension permanente. La façon dont elle décortique les sentiments et réactions d'Hannah est impressionnante mais également sans aucune pitié. La femme qu'elle nous donne à voir est dominée par une peur qui l'empêche de s'affirmer, totalement asservie à un schéma préétabli et minée par une relation au père que l'on devine traumatisante. Hannah n'est que façade, derrière tout est faiblesse, proie facile pour qui sait y faire. L'illusion de la sécurité ne tarde pas voler en éclats tant la frontière entre le bien et le mal est plus poreuse qu'on ne le croit. Et surtout le mal omniprésent. J'avoue que l'envie de mettre quelques claques à Hannah m'a traversé l'esprit, histoire de lui faire retrouver un peu de jugeote. Mais l'écrivaine a visiblement décidé de ne pas l'épargner. Rien à dire, il y a de la technique, les pages se tournent toutes seules grâce au suspense et à un poil de curiosité voyeuriste face aux forces qui se déchaînent. Je pense que j'aurai eu mon lot de maltraitances pour un moment. C'est d'une redoutable efficacité y compris dans le malaise que le fil narratif installe petit à petit sur une toile de fond terrifiante. Sur ce que cela dit de la société américaine de l'époque - mais a-t-elle changé ? - et des monstres invisibles qu'elle nourrit en son sein.
J'avoue je l'ai dévoré. C'était mon premier Joyce Carol Oates dont l'univers ne m'avait jamais attirée. Je l'ai dévoré mais je ne peux pas dire que je l'ai aimé, ni que cette lecture me convertisse à la "JCOmania". Il y a quelque part un trop-plein qui m'a agacée voire fatiguée. Mais disons que je ne serais pas contre une autre incursion dans l’œuvre de la dame à l'avenir.
"Babysitter" - Joyce Carol Oates - Philippe Rey - 600 pages (traduit de l'anglais (EU) par Claude Seban)