Le tumulte et l'oubli - Timothée Demeillers
29 Août 2024 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans
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Cela commence par un discours glaçant, plein de relents nationalistes hégémoniques, celui d'Hitler en 1938, justifiant l'annexion des Sudètes. Une entrée en matière dont l'écho avec les actuels projets la Russie concernant l'Ukraine annonce la couleur : rien n'est jamais terminé. Timothée Demeillers nous propose une grande fresque historique et humaine avec pour cœur cette région éternellement chahutée par l'Histoire et les guerres de territoire.
"Cette terre n'est que de la terre (...). Ça n'a jamais appartenu à personne, ou seulement à ceux qui tenaient les fusils."
Ce sont bien les fusils - ou les chars - qui feront la loi, provoquant une succession de régimes et d'influences, effaçant des milliers d'individus, opprimant jusqu'à nier les spécificités culturelles et provoquer des réactions extrêmes en retour. Tout ceci, l'auteur le met en scène à travers un lieu, une ville fictive dont le nom change au gré des vainqueurs, Jedlov pour les tchèques, Lennberg pour les allemands. Nous suivrons l'impact de la mainmise politique sur son évolution et sur celle d'une cohorte de personnages et de leurs descendants, véritable saga à trois branches sur 70 ans. D'abord Sieglinde, jeune adolescente allemande grandie sous le reich qui subira le revers brutal de la défaite ; Mirko, son ami secret car tchèque ne lui sera d'aucune aide malgré l'affection qu'il lui porte. Leur amitié était de toute façon condamnée par des siècles d'antagonisme et de mépris entre peuples. Un peu plus tard nous croiserons la route d'Iveka, jeune tsigane d'origine slovaque déterminée à s'instruire et à s'émanciper, qui deviendra la vitrine alibi du régime communiste. Et bien d'autres encore dans ce récit foisonnant qui traverse les époques faites d'espoir à la libération avant la rigueur écrasante du régime imposé par Moscou, les désillusions de beaucoup, les nouveaux espoirs nés de la révolution de velours puis l'Europe, le choc capitaliste, l'ouverture qui n'empêche pas les relents nationalistes.
Ce roman incarné est presque une étude archéologique, la mise au jour des différentes strates qui ont modelé les lieux et les êtres, un peu comme l'arrachage des papiers peints révèle les détails de vies antérieures. Sa densité et sa profondeur en font une fresque captivante, instructive et salutaire pour la compréhension du monde. Mais aussi un magnifique hommage à ceux qui ont été effacés ou oubliés entre les murs délabrés des vieux cimetières de toutes les Jedlov/Tannberg ; leurs empreintes demeurent, parfois des traces écrites si utiles pour le travail de mémoire, de transmission à ceux auxquels appartient de construire l'avenir.
Remarquable, tout simplement.
"Le tumulte et l'oubli" - Timothée Demeillers - Asphalte - 518 pages
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